Ar-Men

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Les mots me manquent pour vous parler de Ar-Men de Emmanuel Lepage.

En passant dans la boutique de bandes dessinées préférée à Strasbourg (Bildegarde rue des Serruriers pour ceux que cela intéresserait), je glanais quelques lectures en retard comme Toutatis et le préquel à Orbital. En errant au milieu des auteurs et des séries, je suis tombé également sur Ar-Men.

Ar-Men est un phare au bout du monde, non loin de l’île de Sein, sur ma terre natale, la Bretagne.

J’ai toujours été fasciné par les phares, je me serais bien vu gardien, dans cette solitude au milieu du déferlement des éléments, un rêve romantique qui n’a pas résisté à l’automatisation de ces veilleurs géants des océan. 

Le roman Ar-Men de Jean-Pierre Abraham, que Emmanuel Lepage cite dans ses sources d’inspiration, est un de mes livres de chevet. C’est tout dire. J’adore grimper les centaines de marches de ces colonnes de pierres pour respirer les embruns lorsque j’en ai l’occasion et l’optique complexe des feux m’a toujours fascinée. 

Un…, deux…, trois…, longue pause…

Lepage, je l’ai rencontré avec Voyage aux Iles de la Desolation puis dans Un Printemps à Tchernobyl et dans bien d’autres romans illustrés depuis. Il écrit des reportages en aquarelles, saisies sur le vif. Il raconte de magnifiques histoires qui me touchent à chaque fois.

Ar-Men parle du phare, de ses gardiens, de la Légende de la ville d’Ys, des gens de Sein, des naufrages sur la Chaussée, de la  longue, périlleuse et laborieuse construction du phare et de son automatisation. L’histoire des pierres et de la chair qui hantèrent ses escaliers en spirale. L’histoire de ses gardiens, de leur quotidien et de ce qu’ils fuyaient en s’enfermant pendant des jours dans cette tour au milieu des éléments en furie.

La narration est magnifique, le dessin est sublime, les couleurs fabuleuses. Il s’agit du plus beau roman graphique d’Emmanuel Lepage et pourtant, croyez-moi, ce n’est pas peu dire.

Ys

Connaissez-vous la légende de la cité d’Ys, cette ville qui aurait été engloutie à l’époque où la Bretagne fut christianisée ? Certains rapprochent cette légende d’un autre mythe, celui de l’Atlantide. 

Mais mon propos n’est pas là. Il y a peu je suis tombé sur cette bande dessinée de Annaïg et Loïc Sécheresse, bretons de leur état, qui revisitaient un conte dont j’ai lu moultes versions. Le roi Gradlon converti au christianisme après la perte de sa femme, bâtit pour sa fille payenne une cité au bord de l’océan, protégée des assauts de la mer par d’immenses digues. Une ville dans laquelle sa fille rebelle pourrait être libre, s’exprimer, vivre, sans scandaliser le clergé de plus en plus puissant dans le royaume. Mais un homme (un prêtre, le diable selon les versions du conte) séduisit la jeune femme et une nuit lui déroba la clef des portes qui s’ouvrent sur l’océan, noyant la cité sous l’eau, un soir de tempête. 

Dans le récit se mêlent les légendes des villes englouties et le passage de la religion celtique au christianisme vers le cinquième siècle après notre ère. La BD, avec son graphisme presque enfantin raconte cette ancienne légende, sans coller à la tradition, modernisant le propos. Il est question de fanatisme religieux, de liberté de la femme, de démocratie participative ainsi que d’amour libre et de pouvoir.

Les dessins et couleurs esquissent à peine les personnages, traits noirs et couleurs délavées qui donnent un style très particulier à la BD. On aime ou pas, mais au moins, c’est original.

Une des choses qui m’a fait plaisir dans cette BD, outre ce mythe revisité, c’est d’y découvrir la préface signée Gilles Servat, un chanteur écrivain breton que j’apprécie tout particulièrement.

Si vous ne connaissez pas la légende de la ville d’Ys essayez cette BD ou sinon vous pouvez revisiter ce récit fantastique avec le regard plus moderne des deux artistes.

Gradient thermique

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Je viens d’inventer une nouvelle unité de mesure de vitesse, le °H. Combinaison de la mesure de la température, le degré Celsius et de la mesure du temps, l’heure. Le °H, permet de mesurer la vitesse d’un TGV entre Rennes et Strasbourg très précisément.

En début de semaine, je montais dans le mille pattes d’aluminium fabriqué chez Alstom, direction la Bretagne, sans changement. Quatre arrêts, 4h15 de trajet seulement et les deux bouts de la France se replient pour un voyage quasi instantané, comme par un trou de ver. Il y a encore peu, 4h15 ne suffisaient pas à relier Strasbourg à Paris et encore moins Paris à Rennes, alors Strasbourg à Rennes. En ce temps béni, les vaches regardaient passer les trains en broutant paisiblement, aujourd’hui, elles n’ont même pas le temps de relever leur cou que le convoi de voyageur est déjà à l’horizon.

Mais laissons les vaches et revenons à nos moutons. Un trajet Rennes Strasbourg s’effectue, selon mes mesures, à plus de 5.0°H alors que dans l’autre sens il s’approche de 0.5°H. Avec cette unité de mesure toute nouvelle, il sera bien entendu nécessaire d’intégrer le décalage horaire, la translation longitudinale et des effets de climatiques de bord incontournables ainsi que la force de Coriolis.

Comment se mesure le °H ? En réalité, le principe est assez simple. Avant de monter dans le train, vous prenez la température (extérieure, pas corporelle) et regardez l’heure. En descendant du train, vous procédez de même. Vous avez alors quatre paramètres T1, H1, T2, H2. Vous me suivez ? Il ne vous reste plus qu’à effectuer un calcul assez simple (T2-T1)/(H2-H1) et vous obtenez votre vitesse.

Vous me direz mon °H c’est un peu du temps divisé par du temps, une fréquence donc. Oui  mais de quel temps parlons-nous, du temps qu’il fait ou du temps qui passe ? Le temps c’est de l’argent même si ce temps est un temps de chien. Alors prendre le TGV pour aller en Bretagne c’est assurément gagner du temps, donc de l’argent même si je n’aurai rien fait de ce temps de toute façon. Et gagner du temps pour subir un sale temps, n’est pas une perte de temps ? Bref…

Bien entendu, vous pourriez être surpris par le facteur dix entre la mesure est-ouest et ouest-est. Celui-ci s’explique par un effet climatique connu sous le nom de ‘temps pourri breton’. Vous savez ce nom que scandent les parisiens en revenant de Bretagne alors qu’ils faisaient du camping.

La mesure est-ouest fut effectuée lundi. Premier sondage 23°C à 8h01 à Strasbourg. Second binôme à 12h15 à Rennes, 25°C sous un ciel orageux. (25-23)/(12-8)=0.5. 0.5°H.

La mesure ouest-est fut établie le mercredi. La température peinait à atteindre les 15°C à Rennes vers 14h39 sous des averses titanesques. Arrivé à Strasbourg à 19h05, le mercure avoisinait les 35°C. (35-15)/(19-15)=5.0. 5.0°H.

Autant la vitesse Strasbourg Rennes est supportable pour un organisme moyen, autant la vitesse Rennes Strasbourg est éprouvante. Car lorsque vous descendez du train, après 4h15 de trajet, en pull-over et jean et que l’air brûlant et poisseux de l’Alsace vous assaille, le choc est rude.

Plus étonnante encore est cette mesure de vitesse effectuée en Bretagne lors d’un trajet nul. Vous savez sans doute que la vitesse n’a de sens, d’après les scientifiques, que s’il y a déplacement. Cependant, mes premières expériences prouvent le contraire. La mesure a été effectuée sur une plage de la baie de Saint-Brieuc, un site orienté plein nord et non abrité. 16h, baigneurs, soleil, 25°C. 17h, front de nuage, vent à 50 km/h et 15°C. (25-15)/(17-16)=10. 10°H. Un record de vitesse immobile sur un trajet à peine plus long que la distance entre deux grains de sables sur une plage bretonne.

Autant dire que cette nouvelle mesure de vitesse, tout relative, va dans le sens des théories élaborées par Albert Einstein en son temps mais contredit assurément la limitation de la célérité à celle de la lumière. Il faudra encore quelques années pour mieux appréhender cette conception révolutionnaire de la vitesse, des dizaines de milliers de mesures assurément, mais cette première expérimentation bretonne semble un bon point de départ à des travaux qui ouvrent de nouvelles perspectives pour la science moderne.