Quatre roues

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Nous vivons en ville, sur une rue passante, avec un petit jardinet qui s’enfonce loin de la pollution, où pousse un potager généreux. Nous allons au travail à vélo, deux kilomètres de pistes cyclables plus vite parcourus qu’en voiture. Une vie paisible, presque à la campagne, à en oublier parfois que nous habitons en ville.

La maison cache le jardin de la rue, nous vivons au calme derrière les murs de notre vénérable demeure. Seul quelques voisins, hélicoptères, drones ou satellites espions peuvent imaginer ce qui se passe derrière nos murs à colombages.

Alors, comme à la campagne, nous laissons le portillon du jardin déverrouillé toute la journée, la porte de la maison non verrouillée, les fenêtres ouvertes sur le jardin, comme l’appentis et le garage à vélo.

Il faut dire qu’il y a presque tout le temps quelqu’un à la maison, notre aîné geek au chômage dans sa chambre, notre second confiné pour ses études, mon épouse ou moi qui ne possédons pas le même rythme de travail.

Et puis nous sommes entourés de voisins, le jardin faisant vingt mètres aux plus large et cinquante au plus long, cerné d’immeubles, nous avons beaucoup de voisins.

Un matin, alors que mon épouse était chez nous comme nos deux garçons sans parler de notre chat redoutable, deux vélos ont disparus de notre appentis. Deux vélos en très bon état.

Le vol n’a pas eu lieu pendant la nuit, lorsque le tout monde dort du sommeil du juste, mais en pleine matinée, à la vue et au su de tous, alors que trois personnes se trouvaient dans la maison. Le chat lui, devait garder la pelouse.

Le voleur a du ouvrir un portillon qui ne s’actionne que de l’intérieur, marcher le long de la maison, parcourir encore vingt mètres dans le jardin sous nos fenêtres en plein jour, prendre les deux vélos, revenir sur ses pas ainsi encombré, passer entre la maison et l’immeuble voisin dans un couloir de un mètre de large avec deux VTC, puis s’enfuir.

Et personne ne l’a vu ni entendu.

Ce n’est pas la perte de deux vélos que je pleure, encore que financièrement c’est mille euros qui s’envolent, mais plus la perte soudaine de l’innocence et la montée d’une certaine paranoïa difficile à gérer, sans parler du fait que ma femme doit prendre la voiture pour venir travailler maintenant en attendant de trouver vélo à son pied.

Comble de malheur, il y a pénurie de vélo dans les magasins et le marché de l’occasion a brutalement explosé. Ceci explique peut-être cela.

Immédiatement j’ai verrouillé le portillon, fermé l’appentis avec de gros cadenas, verrouillé la porte de la maison, clos les fenêtres de rez de chaussée et je réfléchis sérieusement à installer une alarme. Le peu de naïveté paysanne qui me restait de mon enfance à la campagne où nous vivions dans espace totalement ouvert vient de s’évaporer brutalement.

Des vélos sont bien peu de choses en comparaison de cette peur sournoise qui s’insinue en moi, même si tout cela aurait pu être bien plus grave. Fini l’innocence, nous ne vivions pas à la campagne mais en ville avec ses incivilités, son bruit, sa pollution et la peur qui rôde.

Bien entendu, nous avons porté plainte, mais comme le dossier de notre plainte pour un accrochage en janvier 2019 n’a toujours pas été traité par le Commissariat de Police, nous risquons d’attendre assez longtemps sans que rien ne se passe et connaissant les assurances, nos vélos ne seront pas remboursés de grand chose.

Numérica

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Avez-vous entendu parler de la propriété intellectuelle ? Je vous demande ça à tout hasard au cas où cette notion vous serait inconnue. Parce que voilà, télécharger des albums sur des sites russes, utiliser du pier to pier, enregistrer du youtube, passer à la médiathèque et ripper tout ce qui rentre dans votre lecteur, cela s’appelle du vol. 

Pour ma part, je me fous de savoir si vous êtes une personne honnête ou non. Je pense simplement aux artistes qui tentent de gagner leur vie en jouant de la musique. 
Vous allez me répondre que la musique c’est cher. Qu’un CD se vend quinze à vingt euros. C’est vrai, c’est cher. Mais une Ferrari est beaucoup plus cher, pourtant vous n’en volez pas, si ? 

Qu’est-ce qui pousse les gens à voler l’immatériel ? Le contenu numérique n’aurait pas de valeur sous prétexte qu’il est impossible de le tenir entre les mains ? Serait-ce la facilité tout simplement ? 

Ne me dites pas « je ne savais pas », même le plus con des cons sait que la musique numérique possède une valeur marchande et que la copier est un délit. 

Fut une époque, j’allais aspirer des albums en pier to pier, des live pirates le plus souvent, des enregistrements officieux de concerts où je m’étais rendu, des enregistrements de mauvaise qualité pour garder un souvenir faute d’un CD ou d’un DVD à regarder. J’ai téléchargé, je le confesse, un ou deux albums pas encore sorti pour pouvoir les écouter en avance de phase. Mais je les ai acheté ensuite. 

Aujourd’hui je reçois beaucoup de musique pour le webzine et les albums que j’aime vraiment, ce que j’écouterai encore, je les commande en CD ou bien en vinyle. Car dans le prog, il y a presque autant de chroniqueurs que de personnes qui écoutent la musique, alors si les chroniqueurs n’achètent pas les albums, qui va le faire ? 

Je connais un gars, un baba cool, grand fan de Yes, ingénieur de son état, bien mieux payé que moi, célibataire de surcroît, qui n’achète jamais de musique. S’il t’emprunte un CD, c’est pour en faire une copie, s’il te parle d’un groupe, c’est qu’il en a téléchargé toute la discographie sur un site pirate. Il ne va même pas aux concerts, « tu comprends, c’est trop cher ». Ces énergumènes, grands consommateurs de musique, ne sont hélas pas si rares et ce sont les premiers à pleurer lorsqu’un jeune talent prometteur laisse tomber faute de moyens. 

Cet été combien de crowdfundings prometteurs ont avorté ? Quelle misère quand on réalise qu’il ne leur fallait que quelques milliers d’euros pour sortir leur album, à peine trois cent souscripteurs à quinze euros pour aller au bout de l’aventure.

Vous aimez la musique ? Alors soutenez les artistes, financez leurs projets, achetez leurs albums et allez les écouter en live.