Nostalgie

Je me souviens d’une époque bénie, ou chaque promo reçue était une victoire, une découverte, d’une époque ou je trouvais le temps d’écouter tout ce qui arrivait, de trier avec l’oreille et pas en fonction de l’étiquette du groupe.

Mais c’était avant… J’ai l’impression d’être devenu une boite à lettre vivante, ingurgitant du mp3 à longueur de journée et régurgitant de la chronique.

L’équilibre entre petit webzine musical indépendant et grosse équipe bossant les 50 heures par semaine est vite franchie finalement. C’est mon choix stratégique, celui de vouloir rester petit, afin de ne pas me transformer en simple gestionnaire d’équipe qui n’écoute plus de musique tant il est débordé par les tâches administratives du magazine. Idéalement il faudrait être organisé en métiers: un chargé de communication, un web-designer, un DBA, un programmeur, un rédacteur en chef, des chroniqueurs, des relecteurs, des photographes, un spécialiste vidéo, un coordinateur. Bref une grosse équipe. Aujourd’hui nous sommes un chargé de communication, un web-designer, un DBA, un programmeur, un rédacteur en chef, six chroniqueurs, trois relecteurs, deux photographes, un spécialiste vidéo, un coordinateur. Sauf que nous sommes six… Alors certains possèdent plusieurs casquettes, par exemple, je suis chargé de communication, web-designer, DBA, programmeur, rédacteur en chef, chroniqueur, relecteur, photographe, spécialiste vidéo et coordinateur. C’est trop ? Oui, c’est trop.

Plus le temps passe, plus les labels et artistes nous reconnaissent et nous sollicitent. Qui irait s’en plaindre ? Chronique, interview, live report, annonce de concert, de festival, crowdfunding. La boite aux lettres se remplit de demandes. Et si nous avons le malheur de chroniquer du métal un jour, c’est dix artistes qui nous contactent. Alors, la plupart du temps, nous faisons profil bas, nous essayons tant bien que mal de rester dans le prog pour éviter les débordements. Mais c’est frustrant de s’interdire un bel album sous prétexte que le groupe joue du trip hop ou du pagan.

Que faire ? Grandir, se professionnaliser, trouver un modèle économique viable (je rigole là). Ne pas bouger, quitte à exploser par burn out ? Rétrograder et revenir à un simple blog ? Je me pose souvent ces questions, et je n’ai pas encore LA solution. Il faudrait trouver un juste équilibre entre plaisir et contrainte, comme ici dans ce blog. Je pense que de nombreux webzines sont confrontés à ce problème un jour: grandir, stagner ou mourir.

Combien de magazines ont fermé suite au départ de leur fondateur, à une grave crise interne ou à une expansion trop rapide et non contrôlée. Ne croyez pas que cela soit simple de trouver des collaborateurs qui travaillent juste pour la gloire et du mp3 watermarké. C’est même très difficile. Des gens qui savent écrire, écouter, garder un esprit indépendant, rendre leurs devoirs à temps, se fondre dans l’équipe et sans faire de vagues sont des perles rares. Nous avons connu notre lot de déboires comme tant d’autres et j’ai fini par devenir prudent. Le tout feu tout flamme, tout nouveau tout beau, ne dure jamais très longtemps et motiver ses troupes sur la durée n’est pas aisé tous les jours.

Actuellement Neoprog est une petite équipe qui fonctionne et s’entend bien. Il a fallu réduire la voilure des publications pour s’adapter à la production et garder du plaisir à chroniquer. Notre cadence pourrait encore baisser dans les mois qui viennent, alors je cherche à savoir ce qui est lu de ce qui ne l’est pas, et un sondage récent me confirme ce que je subodorai déjà :

Beaucoup de gens regardent nos articles sur Facebook sans aller les lire dans le webzine, se contentant de survoler le titre et de regarder l’image. Les chroniques sont lues, plus il y en a, plus la fréquentation du webzine est importante. Les interviews n’intéressent que très peu de monde, comme les live reports. Les actualité sont survolées, peut-être qu’elles n’apportent pas grand chose au final, quant aux vidéos de groupes, elles n’intéressent qu’une minorité, c’est vrai qu’elles arrivent le plus souvent sur Youtube avant d’être publiées chez nous.

Actuellement, afin de préparer les publications, le webzine m’occupe deux heures par jour, sans parler de la relecture, échanges de mails et bien entendu chroniques. C’est énorme, pour un résultat assez décevant en terme de visites. Le ratio travail/consultation ne justifie sans doute pas le temps investi, si ce n’est la passion.

Donc le plan est le suivant: se recentrer sur les chroniques et leur donnant une meilleur visibilité, n’interviewer des artistes que pour se faire plaisir, ne pas s’obliger à rédiger des live reports qui ne sont pas lus et limiter les actualités à l’essentiel, sortie d’album et tournées avec peut-être un rythme de publication hebdomadaire à moyen terme.

L’envers du décors

Adolescent, alors que j’écoutais Genesis, Peter Gabriel ou de Marillion sur mon 33 tours, je fantasmais, comme bien d’autres, à l’idée de rencontrer mes idoles, de discuter avec eux de leur musique, d’être invité en backstage ou de me faire taper sur l’épaule par un chanteur de renommée internationale en buvant une bière avec lui.

Aujourd’hui, à cinquante ans révolus, je m’aperçois, que le fantasme est devenu réalité, que je suis passé de l’autre côté du rideau. Tout a commencé par des interviews par mails, une façon impersonnelle et peu stressante de poser ses questions. Il y a eu également quelques rencontres de musiciens français, et des invitations à assister à des concerts, parfois même de l’instant zéro jusque la conclusion de la soirée. Et enfin, depuis peu, des interviews de grosses pointures du progressif au téléphone ou via Skype. Depuis peu, car mon anglais étant minable, ma timidité maladive, je n’osais pas me lancer en direct. Il m’a fallu un premier galop en double pour oser continuer seul (merci Laurent). Cela fait drôle, d’avoir au bout du fil des personnes comme Neal Morse, Daniel Gildenlöw ou Arjen Lucassen. Avec le recul, on peut se dire que ce sont des personnes comme les autres, des artistes qui font leur job, n’empêche que discuter librement avec eux, leur poser des questions, les écouter plaisanter, décontractés et simples, sympas, ça fait vraiment tout drôle.

L’envers du décors, c’est de découvrir des personnes avec une vie, une famille, des amis, les contraintes de monsieur tout le monde,  doublées d’une vie d’artiste et qui enchaînent jusqu’à vingt interviews dans la même journée pour assurer la promotion de leur album. Le bonheur, ce sont les petites anecdotes qu’ils nous livrent comme le lave linge sèche linge du Z7, le petit passage chanté au téléphone ou des fous rires partagés pendant une interview. Des moments magiques, privilégiés, que je croyais ne jamais connaître un jour. Je mesure chaque fois ma chance.

Cependant, comme toujours, il y a le revers de la médaille de l’envers du décors de derrière le rideau. Tout d’abord, cela démystifie quelque peu ce monde magique que l’on regarde avec des yeux d’enfants (même si, le demi siècle passé, l’innocence s’est quelque peu émoussée, encore que). On ne regarde plus les musiciens, autrefois vénérés, de la même manière fatalement. On découvre l’homme derrière l’artiste, des fois c’est magique, des fois c’est décevant. Enfin, cela représente beaucoup de travail, vraiment beaucoup, imaginez donc: une heure pour préparer les questions, une heure d’interview, cinq heures de transcription anglaise, deux heures de traduction française, une heure pour la mise en ligne. Au final dix heures de travail laborieux pour trente minutes de discussion et une cinquantaine de vues pour l’interview sur le site, oui pas plus, nos interviews ne sont pas vraiment lues, c’est ainsi.

Nous sommes très souvent sollicité pour des interviews et nous n’en faisons pas souvent, vous comprenez maintenant pourquoi. Mais j’ai décidé de me faire plaisir et quand l’occasion se présente, de m’offrir une petite conversation privée avec les artistes qui me font vibrer. La démarche est totalement égoïste et alors ?

 

La guerre des zines

Vous doutiez-vous que l’univers des webzines musicaux était impitoyable, que derrière les articles que vous lisez le matin en sirotant paisiblement votre café, se déroule une guerre larvée  ?

De quoi s’agit-il exactement ? De concurrence, d’égo, de jalousie, de déontologie ? Un peu de tout cela.

Il existe de nombreux modèles de webzines, privé, associatif où à but commercial. Ils n’ont fatalement pas les mêmes moyens ni les mêmes objectifs. Ceux qui se cherchent un modèle économique viable, voient parfois d’un très mauvais œil leurs confrères qui sacrifient une partie de leurs loisirs et économies pour parler des mêmes sujets. Certains font l’apologie d’un genre musical de manière intégriste, d’autres prônent la tolérance et la diversité.

Les critiques vont bon train dans les médias sociaux, via des commentaires acerbes et des polémiques stériles. Les accusations pleuvent : profit, plagiat, hérésie, opportunisme, course à l’audimat.

Lobbying musical, coups bas, dénigrement systématique, attaques internet, tout y passe pour faire sombrer le navire.

A Neoprog nous avons connu quelques séismes de ce genre et plusieurs fois j’ai failli jeter l’éponge. Car un webzine, c’est beaucoup de temps, de passion et d’argent investi. Aujourd’hui, philosophiquement, je bloque les détracteurs agressifs, laissant leurs nuisances polluer des pages Facebook (haut lieu des polémiques imbéciles). Parfois, il arrive que les reproches sont fondés (généralement ceux-là ne provoquent pas de tsunami) et nous essayons d’en tenir compte pour nous améliorer, car nous ne sommes pas infaillibles loin de là.

Par chance, il reste de nombreux webzines avec qui nous vivons en bonne intelligence, collaborant, partageant découvertes et coups de cœurs sans chercher à se marcher sur les pieds.

Nous parlons de musique car c’est notre passion, pas notre métier. Nous restons libres de nos choix et de nos opinions, libres de critiquer, libres d’encenser. Et nous n’y gagnons que le bonheur de promouvoir la musique que nous aimons.

Pour terminer j’aimerai remettre les pendules à l’heure. Les chroniqueurs sont accusés de recevoir des tonnes d’albums et d’entrer à l’œil dans tous les concerts, sexe, drogue, et rock & roll. La vérité est tout autre. Nous recevons beaucoup d’albums en mp3, c’est vrai, 80% d’entre eux partent dans la corbeille faute de temps et d’intérêt (death métal, ska punk, pop, électro, rapp…). Nous recevons quelques CDs, généralement d’artistes indépendants ou de petits labels. Pour les concerts, nous sommes quelques fois invités, c’est vrai : quatre heure de voiture, une nuit d’hôtel, une ou deux interviews, cinq cent photos, cela fait longtemps que je n’ai pas assisté à un live comme monsieur tout le monde. Le webzine me coûte plus d’un salaire mensuel chaque année en nuit d’hôtel, carburant, matériel, musique, hébergement, logiciels. En 2015 j’ai même tenu les comptes pour voir l’ampleur des dégâts (un bilan que je me suis bien gardé de montrer à mon épouse). Alors s’il vous plaît, ne nous accusez pas à tord, si vous n’aimez pas, passez votre chemin en silence, vous vous aimez, continuez à nous lire, si vous êtes jaloux, venez bossez avec nous, vous verrez de quoi il retourne.