Les jumeaux en fourrure

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Prenez de vrais jumeaux, deux êtres génétiquement très proches. Laissez l’un sur terre au Pôle Nord, lancez le second dans l’espace.

N’oubliez pas de les habiller de fourrures, c’est très important, ils pourraient tout deux prendre froid (Pôle Nord -45°C, espace -270°C). Celui qui est au Pôle Nord devra rester immobile, raison de plus pour bien le couvrir, celui qui va dans l’espace devra se déplacer vite, très vite, de préférence autour de la Terre, du coup il risque d’y avoir des courants d’air, d’où la fourrure – vous savez bien que la température ressentie baisse entre autres avec la vitesse du vent (0°C à 100 km/h équivaut à -17°C) – .

Si vous avez lu Albert, vous saurez également que le temps ne s’écoule pas de la même façon entre un objet immobile et un en mouvement, c’est le phénomène de dilatation des durées issus des équations de la relativité restreinte. La fourrure au Pôle Nord sera plus vieille que la fourrure qui a voyagé à des vitesses proches de 299792458 m/s, vous savez, la vitesse de la lumière.

C’est certainement ce qui s’est passé dans ma salle de bains.

Au cours des vacances de Noël, j’ai posé des fourrures à l’aide d’un niveau laser et d’un mètre laser. Des petits rayons rouges qui se déplacent à 299792458 m/s alors que mon cerveau ne fonctionne qu’à 0.0001 m/s les bons jours.

Au total, j’ai posé six fourrures avec les pitons qui vont bien, environ six à sept pitons par fourrure, cela fait beaucoup de trous, de pitons, autant de tiges filetées à découper à la bonne longueur (mesurées au laser) et d’écrous à serrer.

Après maints travaux, montants, rails, isolant, placo, après maintes vérifications, j’ai découvert avec stupéfaction qu’une fourrure était deux centimètres plus haute que les autres, une fourrure de l’espace alors que les autres se les gèlent au Pôle Nord.

Qu’est-ce que deux centimètres me direz-vous ? Un plafond légèrement penché, tout est relatif, ce n’est rien de bien grave…

Un centimètre c’était la tolérance maximale d’erreur pour poser une porte coulissante à deux battants, relatif oui, mais problématique.

Je viens de poser une nouvelle fourrure, je l’ai transporté en voiture à 5 km/h, du gros malin à la maison, de peur qu’elle ne subisse les effets pervers de dilatation des durées. J’ai allumé prudemment le laser, pris mon temps et posé une nouvelle fourrure polaire lentement.

Côte à côte, se tiennent maintenant deux jumeaux en fourrure, l’un ayant dérivé dans l’espace à près de 299792458 m/s, et deux centimètres au dessous de son frère, glacé jusqu’à la moelle, habillé d’une même fourrure, celle dans laquelle le plafond viendra prochainement se visser.

Gradient thermique

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Je viens d’inventer une nouvelle unité de mesure de vitesse, le °H. Combinaison de la mesure de la température, le degré Celsius et de la mesure du temps, l’heure. Le °H, permet de mesurer la vitesse d’un TGV entre Rennes et Strasbourg très précisément.

En début de semaine, je montais dans le mille pattes d’aluminium fabriqué chez Alstom, direction la Bretagne, sans changement. Quatre arrêts, 4h15 de trajet seulement et les deux bouts de la France se replient pour un voyage quasi instantané, comme par un trou de ver. Il y a encore peu, 4h15 ne suffisaient pas à relier Strasbourg à Paris et encore moins Paris à Rennes, alors Strasbourg à Rennes. En ce temps béni, les vaches regardaient passer les trains en broutant paisiblement, aujourd’hui, elles n’ont même pas le temps de relever leur cou que le convoi de voyageur est déjà à l’horizon.

Mais laissons les vaches et revenons à nos moutons. Un trajet Rennes Strasbourg s’effectue, selon mes mesures, à plus de 5.0°H alors que dans l’autre sens il s’approche de 0.5°H. Avec cette unité de mesure toute nouvelle, il sera bien entendu nécessaire d’intégrer le décalage horaire, la translation longitudinale et des effets de climatiques de bord incontournables ainsi que la force de Coriolis.

Comment se mesure le °H ? En réalité, le principe est assez simple. Avant de monter dans le train, vous prenez la température (extérieure, pas corporelle) et regardez l’heure. En descendant du train, vous procédez de même. Vous avez alors quatre paramètres T1, H1, T2, H2. Vous me suivez ? Il ne vous reste plus qu’à effectuer un calcul assez simple (T2-T1)/(H2-H1) et vous obtenez votre vitesse.

Vous me direz mon °H c’est un peu du temps divisé par du temps, une fréquence donc. Oui  mais de quel temps parlons-nous, du temps qu’il fait ou du temps qui passe ? Le temps c’est de l’argent même si ce temps est un temps de chien. Alors prendre le TGV pour aller en Bretagne c’est assurément gagner du temps, donc de l’argent même si je n’aurai rien fait de ce temps de toute façon. Et gagner du temps pour subir un sale temps, n’est pas une perte de temps ? Bref…

Bien entendu, vous pourriez être surpris par le facteur dix entre la mesure est-ouest et ouest-est. Celui-ci s’explique par un effet climatique connu sous le nom de ‘temps pourri breton’. Vous savez ce nom que scandent les parisiens en revenant de Bretagne alors qu’ils faisaient du camping.

La mesure est-ouest fut effectuée lundi. Premier sondage 23°C à 8h01 à Strasbourg. Second binôme à 12h15 à Rennes, 25°C sous un ciel orageux. (25-23)/(12-8)=0.5. 0.5°H.

La mesure ouest-est fut établie le mercredi. La température peinait à atteindre les 15°C à Rennes vers 14h39 sous des averses titanesques. Arrivé à Strasbourg à 19h05, le mercure avoisinait les 35°C. (35-15)/(19-15)=5.0. 5.0°H.

Autant la vitesse Strasbourg Rennes est supportable pour un organisme moyen, autant la vitesse Rennes Strasbourg est éprouvante. Car lorsque vous descendez du train, après 4h15 de trajet, en pull-over et jean et que l’air brûlant et poisseux de l’Alsace vous assaille, le choc est rude.

Plus étonnante encore est cette mesure de vitesse effectuée en Bretagne lors d’un trajet nul. Vous savez sans doute que la vitesse n’a de sens, d’après les scientifiques, que s’il y a déplacement. Cependant, mes premières expériences prouvent le contraire. La mesure a été effectuée sur une plage de la baie de Saint-Brieuc, un site orienté plein nord et non abrité. 16h, baigneurs, soleil, 25°C. 17h, front de nuage, vent à 50 km/h et 15°C. (25-15)/(17-16)=10. 10°H. Un record de vitesse immobile sur un trajet à peine plus long que la distance entre deux grains de sables sur une plage bretonne.

Autant dire que cette nouvelle mesure de vitesse, tout relative, va dans le sens des théories élaborées par Albert Einstein en son temps mais contredit assurément la limitation de la célérité à celle de la lumière. Il faudra encore quelques années pour mieux appréhender cette conception révolutionnaire de la vitesse, des dizaines de milliers de mesures assurément, mais cette première expérimentation bretonne semble un bon point de départ à des travaux qui ouvrent de nouvelles perspectives pour la science moderne.