Sainte-Croix

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(c) Jérôme THEROND

Une fois par an, je participe au pèlerinage de Sainte-Croix. Je ne suis ni musulman, ni grec, ni juif, ni orthodoxe, ni protestant et si j’ai baigné dans le catholicisme, je reste définitivement hermétique à toute forme de religion. Pourtant à l’automne, je prends mon bâton de pèlerin et je me rends près de Rhode pour faire pénitence.

Avec dix kilogrammes de jolis cailloux dans le dos, un bâton à la main, je marche sept heures durant, avec à peine une bouteille d’eau, arpentant les chemins ombragés du parc animalier de Sainte-Croix.

Cette année, j’avais fait le choix d’un 24-70 mm, d’un 70-200 mm et d’un 200-500 mm avec un plein format ainsi qu’un monopod. Choix discutable car si la bête est éloignée, le cliché sera inintéressant. D’ordinaire, je travaille plutôt avec une focale de 1400 mm pour tout ce qui est animalier.

Je suis devant la porte dès l’ouverture et à peine entré dans le parc, j’entends le hurlements des loups au fond des bois. Courant aussi vite que me le permet mon bardas, j’emprunte les sentiers à l’envers pour atteindre la tanière des loups blancs où un autre photographe (que je croiserai à de nombreuses reprises au cours de la journée) est déjà en action. Les loups blancs hurlent et répondent au loups gris. Alors que d’ordinaire ces animaux se cachent, aujourd’hui, ils longent leurs enclos, s’allongent devant nous et ne redoutent pas les objectifs. Rien que pour cela, j’ai gagné ma journée.

Après les loups blancs, les loups noirs prennent la pause. Je n’en reviens pas. Il faut dire qu’en semaine, le parc, malgré un soleil radieux, ne déborde pas de visiteurs et la COVID-19 doit dissuader plus d’une personne de sortir. Moi, et quelques autres photographes, nous en profitons. Car le parc de Sainte-Croix est le paradis des photographes amateurs de tout poil. On y voit de nombreux boitiers pros avec de de gros cailloux et le bruit des miroirs en mitraillette vient troubler le silence de la campagne.

Après les loups, je vais saluer mes copains les chiens de prairie. J’adore ces petites bêtes irascibles qui vous tiennent tête à quelques centimètres de l’objectif. Car là, vous êtes dans leur enclos, comme pour les maki natta. Si vous approchez trop, elles se planquent dans leur terrier pour revenir quelques secondes plus tard vous crier dessus. Si vous ne bougez pas, elles s’approchent et vous défient en criant. Adorables !

Mon pèlerinage me conduit ensuite dans le bon sens sur le sentier bleu après une rapide collation. Le sentier bleu, ce sont les sangliers, les cerfs, les rennes, les ours, les renards et, et les lynxs. Je n’ai jamais eu de chance avec les lynxs. Soient ils dormaient derrière une vitre, soit il se cachaient dans les herbes. Mais cette années, il y a trois naissances et les enfants sont turbulents. A peine arrivé que je découvre les petits monstres en train d’avancer sur un tronc d’arbre, hésitant à sauter pour continuer jusqu’un endroit où soudain les bestioles aux grosses pattes et aux oreilles en pointes semblent intriguer par quelque chose. Une grosse couleuvre bouge dans les feuilles mortes. Inutile de vous dire que le manège d’un jeune lynx affrontant un serpent, cela vaut le détour. D’ailleurs, tous les photographes sont là et dans un silence religieux, shootent comme des fous, encourageant les jeunes fauves à plus plus d’intrépidité. Le spectacle est juste incroyable !

Après un coucou aux ours qui font la sieste, aux pélicans qui prennent la pause, je remonte le chemin bleu, là où d’ordinaire se rassemblent les cerfs. Mais nous sommes en pleine période du brame, et les pauvres cervidés sont épuisés après avoir braillé et combattu toute la nuit, sans parler de la récompense qui va avec. A la place, sur la pente herbue menant au lac, se promènent des cigognes et des hérons, à porté de tir du 500 mm. Connaissant les hérons, je me planque dans une cabane conçue pour observer les cerfs. Et là j’attends. Des cigognes se posent, d’autres s’approchent, les hérons ne me voient pas et je réalise une grand quantité de clichés d’ordinaire impossibles avec une focale presque triple. Décidément, cette journée relève de la folie. Je suis comblé.

Il est 16h, il me reste quelques minutes pour aller saluer les maki catta, les gibons, les daims et les ours noirs avant de reprendre la route vers l’Alsace. Je suis rincé et heureux.