Le fort

Image

Sur le chemin des Vosges, un panneau Fort de Mutzig m’a toujours interpellé sans que je ne me décide à suivre ses indications. Après près de trente années d’hésitations, je me suis enfin décidé un samedi ensoleillé pour cette destination inconnue.

L’Alsace regorge de fortifications, châteaux du XXII, restaurations de l’Empereur Frederic II, forteresses Vauban, forts de la guerre de 1870 et la ligne Maginot, un vaste patrimoine militaire que j’aime visiter même si je déteste toutes les manifestations guerrière. Mon épouse dit que j’aime le minéral.

Je suis donc parti pour 20 km de voiture, en direction de la vallée de Mutzig puis j’ai tourné à droite pour grimper le piémont vosgien, une grimpette bucolique qui mène au fort de Mutzig, le Feste Kaiser Wilhem II.

Je m’attendais à un petit fort comme celui situé au sud de Strasbourg, mais la dame, à la billetterie, m’a mis en garde. « Il y a deux kilomètres de marche monsieur, des centaines de marches, il fait 16 degrés à l’intérieur, prenez vos précautions avant de rentrer, il n’y a pas de toilettes à l’intérieur et ne marchez pas dans l’herbe haute, il y a des tiques. Un billet adulte ? ». Ben oui, pas troisième age… J’a l’air si vieux que ça ? 

Le fort a été bâti par les allemands sur une période allant de 1893 à 1916. Il a abrité jusque 7000 hommes sur des 254 hectares et il s’agit du plus vaste ensemble fortifié de la première guerre mondiale, enfin c’est du moins ce qui est marqué dans le prospectus que l’on vous donne à l’entrée.

Et en effet, après m’être enfoncé de quelques marches dans la fraîcheur de la pierre et du béton, je me suis retrouvé, presque seul, dans d’immenses galeries étroites et obscures.

Évidemment, je n’étais pas venu vraiment seul, le Nikon était de sortie comme souvent en promenade. Avec un temps de pause au 20eme de seconde sans pied, une ouverture à f 2.8, je montais quand même à 4000 ISO pour saisir les tunnels creusés 40 mètres sous terre. L’exercice photographique était extrême, chercher la lumière là où il n’y en a pas, ne pas bouger et essayer de dégager de la profondeur de champ à f 2.8. 

Par chance, les rares visiteurs passaient rapidement et je pouvais rester longtemps dans les galeries, allongé sur le métal froid, l’appareil posé au sol, l’objectif braqué vers une ampoule à incandescence, entre les moteurs du groupe électrogène à trouver le meilleur angle de vue, des minutes devant un engrenage géant ou en tenant le boîtier à bout de bras pour capturer l’intérieur d’un canon.

Les couloirs sont vraiment incroyables mais ce qui m’a le plus impressionné ce sont les quatre ou cinq énormes générateurs et son tableau de commande au look définitivement steampunk. J’ai passé une bonne demi-heure dans cette pièce à essayer de trouver la bonne image et capturer des détails de la machinerie d’un autre age.

Les dortoirs et l’hôpital militaire m’ont ramenés à des jeux de horror survival à la première personne, des décors dignes de Resident Evil. Je croyais à des visuels glauques imaginés par les concepteurs de jeux, j’ai découvert qu’ils s’étaient en réalité bien inspirés d’images d’archives.

Lorsque je suis ressorti à l’air libre, la lumière, les couleurs éclatantes de la végétation et le bleu du ciel m’ont ébloui. Que la nature est belle même si, de ci de là, une tourelle, un canon, des tranchées barraient le paysage. C’est là que j’ai rencontré un des bénévoles du site qui m’a raconté son histoire, un ancien militaire, qui 40 ans plus tôt, s’était lancé avec d’autres passionnés dans la réhabilitation de cet immense site.

Il faudra que je retourne au fort de Mutzig, avec cette fois un pied photo pour de plus longues pauses avec plus de profondeur de champ et peut-être un grand angle pour quelques pièces difficiles à saisir au 24 mm. Le lieu n’est pas très éloigné de Strasbourg, l’entrée ne coûte que douze euros, l’essentiel est de bien de penser à soulager sa vessie avant d’entreprendre l’exploration périlleuse des galeries car les latrines du bunker ne sont pas utilisables.