Saint-Florent

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Il y a des années de cela, nous avions entrepris en plein mois d’Août un tour de Corse en camping avec celle qui allait devenir mon épouse. 

C’était notre second voyage sur l’île de beauté. Une longue traversée en bateau de nuit, une vieille voiture, une tente canadienne, un réchaud, deux sacs de couchages, des Bolino, nous étions partis d’Ajaccio pour remonter la côte Ouest, Porto, Calvi, Saint-Florent, Bastia…

Plus de trente ans plus tard, nous sommes revenus pour la première fois à Saint-Florent, après de nombreux séjours en Corse. Cette fois, c’était en avion, avec voiture de location, un appartement confortable en bord de mer, de la Copa, du Bruccio, quelques bières corses, bref un tout autre standing. 

Nous nous souvenions de Saint-Florent comme d’un charmant village en bord de mer avec ses embarcations de pêche, sa citadelle et ses maisons colorées. 

Lorsque nous avons arpenté les ruelles de la ville, peu après notre installation, nous n’avons rien reconnu, si ce n’est l’antique citadelle. 

Des hôtels avaient poussé un peu partout autour du vieux village et un gigantesque port avait remplacé la petite digue de pierre qui abritait quelques embarcations. Les rues s’étaient remplies de boutiques et de restaurants à touristes et le désert des Agriates, paradis sauvage à l’ouest du village, était devenu le repère des 4×4 pour touristes et des hors bords déversant sur les plages leurs hordes de maillots de bains empestant l’ambre solaire.

Le golfe est toujours magnifique et le côté Est reste relativement épargné par le tourisme de masse. Par chance, c’est là que nous avions trouvé notre logement.

Cela ne nous a pas empêché de passer de belles vacances au bord de l’eau avec quelques escapades au cap Corse, à Corte et même dans le désert des Agriates, mais sans 4×4 ni hors bord, avec nos pieds et avec un bateau qui nous a déposé à la plage du Lotu.

N’empêche, c’était mieux dans nos souvenirs.

Des murs de paraffine

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Dans mon enfance, la confiture ne s’achetait pas dans les rayons de supermarché, elle se cuisinait à partir des fruits récoltés dans le jardin et dans la nature. Comme nous n’avions pas de potager contrairement à nos voisins à qui nous volions des fraises et des framboises pendant la nuit, c’est à la campagne que nous trouvions notre bonheur.

A la fin du mois d’août, nous partions à vélo avec ma mère et mes frères dans les chemins creux de Bretagne cueillir les mûres. Un pochon plastique Codec dans une main, les deux pieds fermement plantés dans le talus, nous ramassions les fruits noirs gorgés de pluie et de soleil.

Nous en mangions sans doute autant que nous en récoltions. Nos mains et nos langues étaient maculées du jus des fruits mûrs et nos vêtements couverts d’épines de ronces.

Lorsque les sacs menaçaient de craquer, nous repartions lourdement chargés vers la maison. Il n’était d’ailleurs pas rare qu’un des pochons ne résiste pas au transport ou au frottement des rayons de la roue du vélo contre le plastique distendu.

Ma mère achetait des kilos de sucre à la supérette Codex du village puis faisait cuire les fruits dans une gigantesque cocotte qui servait d’ordinaire à gaver ses quatre garçons tout le temps affamés. 

Après quelques minutes de cuisson, le parfum sucré des fruits se répandait dans la maison, invitant à la dégustation de la confiture encore chaude. Ma mère remplissait alors de grands pots d’un kilo à la louche de mélasse violette encore bouillante et les scellait avec une épaisse couche de paraffine.

Après des heures de travail, notre réserve de confiture était fin prête pour l’hiver et je pouvais enfin m’armer d’un cuillère pour nettoyer consciencieusement la marmite encore tiède. C’était le privilège du petit dernier.

La trentaine kilos de confiture de mûres ne passerait pas l’hiver et les quatre garçons finiraient pas engloutir des tartines au beurre salé en attendant le retour de l’automne et la nouvelle récolte de fruits.

Vous souvenez-vous de la crise du sucre en 1974 ? Les prix avaient flambé et la pénurie artificiellement entretenue par les spéculateurs. Cette année là, avant le mois de décembre, il ne nous restait plus un seul pot en réserve, nous n’avions pas eu les moyens d’acheter assez de sucre.

Aujourd’hui encore, nous perpétuons cette tradition en Alsace, avec des figues, des groseilles, de la rhubarbe du jardin, mais en moindre quantité, nous ne sommes plus que deux à tartiner nos baguettes de confiture.