Loto mots bile

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Onze ans, cent cinquante milles kilomètres, une portière défoncée, une direction tangente, un embrayage moribond, plus de freins, des pneus usés, un habitacle imprégné d’une odeur de moisissure, des sièges maculés de tâches, la voiture qui m’a accompagnée à nombre de festivals, concerts, qui a traversée de multiples fois la France, qui a vu grandir mes enfants, qui a accueilli sereinement leur vomi, les miettes de biscuits, le placoplatre et les déchets végétaux sur la banquette arrière, ma Logan, ma belle Logan premier modèle du nom, vient de nous quitter pour un monde meilleur.

L’automobile a toujours été la vitrine d’un certain statut social, détrônée pendant quelque temps par le modèle de smartphone. Posséder une voiture bas de gamme, moche, est souvent le signe d’un échec social patenté. Aujourd’hui, la mode écologique désigne la machine à quatre roues comme responsable de tous les maux de la terre, et certains commencent à considérer (à raison) les conducteurs de SUV comme de gros dégueulasses losers. Seul le véhicule électrique a le vent en poupe chez les bobos écolos qui n’ont rien compris au bilan carbone d’une voiture.

Je roule peu, quelques concerts, les courses et un voyage par an en France, mais il est vrai que depuis peu, je roulais encore moins, découragé par la fatigue programmée occasionnée par deux-cent kilomètres en char d’assaut après quelques heures de metal entre les oreilles. Ma chérie ne voulait pas se séparer de la poubelle, moi je n’en pouvais plus de la conduire. Des mois de lutte, de persuasion, de cajolerie et que des refus, jusqu’au jour où le garagiste nous à annoncé que notre tas de ferraille allait passer l’arme à gauche si nous ne changions pas la moitié des éléments le constituant.

Ça a été le déclic et j’ai enfin eu le feu vert pour prospecter. J’ai d’emblée visé de petites voitures économiques et peu polluantes. Une seule exigence, qu’elle soit équipée d’un régulateur de vitesse, parce que la Logan n’avait aucun équipement, même pas d’essuie glace arrière.

Une fois, le premier tri effectué, j’en traîné mon épouse chez les concessionnaires pour quelle fasse un choix, car dans ce genre d’achat, la femme décide toujours n’est-ce pas ?

Les prix l’ont horrifiée, oui c’est cher quatre roues et un moteur, très cher, même en refourguant notre carrosse rutilant. Je lui est montré ma sélection de modèles, Clio, C3, Sandero… Elle s’est assise dans tous les modèles et à chaque fois, venait la même remarque, « c’est petit, tout petit ». C’est vrai que la Logan est affreuse, bruyante et inconfortable, mais l’habitacle est des plus spacieux, sans doute grâce à l’absence de tout équipement encombrant le tableau de bord.

Puis j’ai vu mon épouse errer dans la concession et regarder de plus gros engins, ouvrir des portes et s’asseoir dans des habitacles suréquipés et dire :

– J’aime bien celle-là.

– Non sérieusement, tu as vu la petite étiquette ?

– Oui oui…

Après onze ans de tape cul, ma chérie découvrait enfin le confort, les options, le luxe et elle y prenait manifestement goût. Comme par miracle, les vendeurs sont devenus soudains prévenants, un café ? Vous voulez faire un essai ? Je peux vous faire une offre ?

– Oui, oui, oui !

La totomobile a été acheté, le troisième plus gros chèque de ma vie. Le bilan carbone de la famille va augmenter notablement mais je rechignerai moins à effectuer de longues distances pour aller à des concerts dans des coins paumés. La preuve, pour étrenner le carrosse, je viens de traverser deux fois la France dans sa grande longueur horizontale en soixante-douze heures pour aller faire un bisou à mon papounet.

Ma femme ne conduit plus, elle a peur de casser le joli joujou qu’elle a offert à son mari chéri. Et moi qui préférait pédaler que conduire, je me surprends au volant de la voiture, juste pour le plaisir. Je dois me faire violence pour la première fois de ma vie afin de rester un minimum écolo responsable. J’ai honte mais c’est si bon. Tiens, et si j’allais me promener ?

Saison dix

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Machine à voyager dans le temps, téléporteur, vaisseau spatial, chambre de repos, cuisine, dressing, la cabine de police bleue du Docteur sert décidément à tout.

La saison dix pourrait se nommer « le dernier homme » car la réincarnation du docteur sera une femme. Quoi ? Non qui… Quand ? Lors de la saison 11 bien-sûr. Les puristes sexistes sont scandalisés. Moi j’attends de voir.

J’adore cette série geek de la BBC malgré ses effets spéciaux à deux balles et ses histoires décousues. C’est un chanteur britannique, Marc Atkinson, encore plus geek que moi, qui m’a transmis le virus des aventures du Docteur Who. Lui se rend régulièrement à son musée, posant avec le Docteur et un Dalek devant la célèbre cabine bleue.

Des épisodes sans queue ni tête, dans l’espace, dans la Tamise, dans  une pyramide et même parfois sur Terre, un docteur rockeur, un petit chauve non humain, une étudiante lesbienne aventureuse, il n’y a que les anglais pour produire de telles choses. Les épisodes décousus de cette saison suivent tout de même une certaine logique avec ce mystérieux coffre et son contenu caché dans les sous sols de l’université.

Cette saison est la première que j’aurai enfin pu regarder jusqu’au bout, car à la maison, il n’y a que moi à apprécier les docteurs. Il faut avouer à ma décharge que j’en consulte beaucoup. Ma femme étant absente ou écrasée de fatigue après des journées de plus de douze heures de travail, j’ai pu visionner de un à trois épisodes chaque soir, seul dans le salon, et arriver au bout de la saison sans interruption.

Je n’en suis pas sorti grandi intellectuellement mais j’ai pu vider mon cerveau des miasmes du travail et m’endormir presque serein, c’est déjà pas mal par le temps qui courent. 

Quand j’ai rendu le coffret à la médiathèque, à l’accueil , une sympathique rondouillarde aux cheveux bleus m’a regardé avec étonnement et m’a demandé : « Alors, impatient de découvrir la saison onze ? ». J’ai compris à ce moment que j’étais définitivement un vieux geek improbable.