Dépendance

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Mercredi, sur l’autoroute entre Troyes et Reims, j’ai réalisé que mon iPhone perso était resté à l’aéroport de Barberey St Sulpice. Damned ! Je l’avais branché pour une recharge d’urgence avant de reprendre la route. Sauf qu’au moment du départ, je l’ai oublié, chose qui ne m’étais jamais arrivé auparavant.

Comme je prenais le TGV à Champagne Ardennes peut après pour rentrer sur Strasbourg, je n’avais plus le temps de revenir le récupérer, alors j’ai demandé à mes collègues s’ils pouvaient me l’expédier à la maison.

Par chance mon billet de train se trouvait sur ma boîte mail professionnelle, dans mon téléphone du travail. Ouf !

Billet ? Train ? Damned, mon passe sanitaire, lui se trouvait dans mon application AntiCovid située dans l’autre portable et je ne disposais pas de la version papier du précieux sésame.

J’ai donc sollicité à nouveau mon collègue pour qu’il m’envoie une capture d’écran du QR Code magique par mail afin de pouvoir monter dans le TGV. Ce ne fut d’ailleurs pas simple. Allez expliquer les subtilités d’iOS à un utilisateur Androïd. L’enfer !

L’heure et demi passé dans le TGV fut très longue malgré un bouquin. J’ai pris la fâcheuse habitude de consulter Twitter régulièrement, de lire mes emails, de me balader sur Flickr pour regarder des photographie, d’aller sur Google Actualité savoir où nous en sommes de la troisième vaccination et prendre des notes pour mes prochains billets d’humeur.

Arrivé à la gare mercredi soir, je n’ai pas pu contacter mon épouse malgré mon second téléphone, je n’avais pas son numéro portable en tête et encore moins le fixe. J’ai donc pris le tram pour rentrer dans la nuit noire glaciale.

Le jeudi, au travail, je me suis senti tout nu sans mon smartphone, non pas qu’il me soit nécessaire pour travailler, mais sa présence rassurante dans ma poche droite me manquait. Alors j’ai ouvert des onglets Gmail, Twitter, Flickr, Google sur mon ordinateur, au milieu des applications web métier, rien que pour ma rassurer d’exister encore.

Le vendredi matin, Fedex aurait dû livrer le précieux iPhone à la maison.

Depuis mercredi, je me retrouvais sans compte bancaire, téléphone, mail, suivi de migraine, bibliothèque photo, tickets restaurant, GPS, télécommande Nikon, Analytics, actualités, messages, Twitter, musique et surtout mes brouillons d’articles pour le blog. Mon dieu ! Qu’aillais-je publier la semaine prochaine. J’étais perdu !

Perdu, parce que je n’utilise pas le Cloud et que les 16 Go de cet iPhone SE ancienne version contient une grande partie de ma vie numérique. 

Comment peut-on devenir aussi dépendant à un tel objet ?

Vendredi midi je recevais un message sur ma boite pro pour m’annoncer que mon paquet avait été déposé dans un point relais à deux kilomètres de la maison. La haine ! J’avais poireauté toute la matinée à attendre le colis dans le salon afin d’être certain de ne pas manquer le livreur. J’ai pris mon vélo et j’ai foncé dans la bises pour récupérer mon précieux. 

Hélas, le colis n’était pas là bas non plus. Mon téléphone doudou, lien indispensable avec mon univers numérique plus riche que le réel était-il perdu ? 

J’ai installé en catastrophe SnapBridge, Gmail, Flickr, Twitter sur l’autre smartphone histoire de survivre. Malgré ça, il me manquait encore une très grande partie de moi même. 

Heureusement, vers 16h, l’employé Fedex a terminé sa sieste et déposé mon paquet  vec six heures de retard au point relais. Je repris le vélo, foncé dans le froid, affronté la circulation du vendredi soir et retrouvé mon sex toy à qui il ne restait plus que 1% d’autonomie avant de mourir.

Il est au chaud, près de moi, à la maison, se gavant d’énergie nucléaire. C’est promis mon chéri, je ne t’oublierais plus sur une table  étrangère.

Demain, je commence une thérapie de désintoxication numérique, histoire de mieux gérer le jour où une éruption solaire créera un black out.

L’interview

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Depuis mon adolescence, j’écoute du rock progressif. Genesis, Peter Gabriel, Steve Hackett firent vibrer mes tympans des années durant et encore aujourd’hui.

J’ai continué avec Marillion, Pendragon, Arena, Big Big Train, Izz, Dream Theater, et me suis lancé un jour dans un webzine sur le rock progressif.

J’ai reçu mes premières promotions, ai été  convié à mes premiers concerts en tant que presse et j’ai réalisé des interviews, d’abord par mail, puis via Skype ou au téléphone et même parfois en tête à tête.

J’ai discuté avec Weend’ô, Neal Morse, Franck Carducci, Daniel Gildenlow, Cris, Arjen Lucassen, Lazuli et un jour, un jour, j’ai reçu un coup de fil de Steve Hackett.

D’accord, il ne me téléphonait pas pour savoir ce que je pensais de son dernier album ni pour s’inviter à boire un verre à la maison, mais quand même, je parlais au guitariste du groupe qui avait radicalement révolutionné ma perception du rock, j’avais alors 14 ans.

Après avoir écouté son dernier album, At The Edge Of Light, je demandais à son agent, si je pouvais réaliser une interview par mail avec lui. Par mail, car soyons honnête, mon anglais est misérable,  pathétique même, alors à l’oral, imaginez la honte, surtout avec le trac.

On me répondit que Steve préférait une discussion en direct au téléphone. En … Au téléphone… En anglais… ouille, aille, ouille !

Dans ces cas là, mieux vaut ne pas réfléchir, je répondis : « Ok, go go go ! ».

Rendez-vous fut pris et commença une semaine de pure terreur.

  • Phase une, caser 40 ans de questions en moins de trente minutes.
  • Phase deux, le rédiger en anglais.
  • Phase trois, le répéter sans trop bafouiller.
  • Phase quatre, essayer de dormir alors que toutes les heures je me sortais d’un rêve où je parlais anglais à Steve.

Le weekend précédent l’interview, je passais mon temps à essayer des mécanismes pour enregistrer un appel téléphonique, enregistreur Zoom, PC, iPhones côte à côte, applications de l’Apple Store, bref la panique.

Je passais un long moment avec mon père au téléphone, à tester, sans qu’il le sache, plusieurs de ces technologies, pardon papa…

Enfin le jour J arriva. Une journée commencée à 4h du mat, en mode panique, pour une interview à 18h30.

C’est long, plus de quatorze heures d’attente. Extrêmement long. Quatre révisions de mon interview plus tard, dix essais plus loin avec mon enregistreur, l’estomac noué, la vessie taquine, les intestins en vrac, l’heure du crime arriva.

L’iPhone sonna. « Hello Steve Hackett calling, are you Jean-Christophe Le Brun ? ». « Heu, yes. ».

C’était parti pour les trente minutes les plus courtes de ma vie. Trente minutes pendant lesquelles le guitariste me parla d’engagement, de musique, de littérature, de peinture. Une personne passionnée et passionnante avec laquelle j’aurai rêvé de discuter toute une soirée. Il me parla, sans le savoir, de mes peintres préféré, d’un romancier que j’adore, de choristes qui ont fait vibrer mon âme, d’idées avec lesquelles je suis complètement d’accord. Un artiste, cultivé, simple, gentil, accessible.

Je venais de discuter avec Steve Hackett.

En transcrivant laborieusement l’interview, je découvre avec stupeur des détails qui m’avaient échappés pendant la conversation, des mots sur lesquels j’aurai pu rebondir, la façon qu’il a eu d’intégrer mes remarques à ses réponses. Je suis affreusement frustré et confus d’être si mauvais en anglais.

J’ai discuté avec l’artiste qui se trouve au sommet de ma pyramide progressive, dans mon panthéon des dieux des seventies, j’en suis encore abasourdi.

Hélas, il y a toujours un prix à payer.

Le prix, ce sont plus de dix heures de travail, casque sur les oreilles, à retranscrire l’interview en anglais puis à la traduire, à entendre un français à l’anglais minable s’empêtrer lamentablement dans les conjugaisons et le mots de liaison de la langue de Shakespeare pendant que son interlocuteur, presque imperturbable, tente de décoder la question cachée dans ce charabia pitoyable…

Merci Monsieur Hackett pour votre patience, votre gentillesse. Même si vous faites la promotion de votre nouvel album, vous le faite avec panache.

Une heure plus tard, c’était une toute autre interview qui passait à la télévision. Une homme cultivé lui aussi, mais assurément méprisant.

L’envers du décors

Adolescent, alors que j’écoutais Genesis, Peter Gabriel ou de Marillion sur mon 33 tours, je fantasmais, comme bien d’autres, à l’idée de rencontrer mes idoles, de discuter avec eux de leur musique, d’être invité en backstage ou de me faire taper sur l’épaule par un chanteur de renommée internationale en buvant une bière avec lui.

Aujourd’hui, à cinquante ans révolus, je m’aperçois, que le fantasme est devenu réalité, que je suis passé de l’autre côté du rideau. Tout a commencé par des interviews par mails, une façon impersonnelle et peu stressante de poser ses questions. Il y a eu également quelques rencontres de musiciens français, et des invitations à assister à des concerts, parfois même de l’instant zéro jusque la conclusion de la soirée. Et enfin, depuis peu, des interviews de grosses pointures du progressif au téléphone ou via Skype. Depuis peu, car mon anglais étant minable, ma timidité maladive, je n’osais pas me lancer en direct. Il m’a fallu un premier galop en double pour oser continuer seul (merci Laurent). Cela fait drôle, d’avoir au bout du fil des personnes comme Neal Morse, Daniel Gildenlöw ou Arjen Lucassen. Avec le recul, on peut se dire que ce sont des personnes comme les autres, des artistes qui font leur job, n’empêche que discuter librement avec eux, leur poser des questions, les écouter plaisanter, décontractés et simples, sympas, ça fait vraiment tout drôle.

L’envers du décors, c’est de découvrir des personnes avec une vie, une famille, des amis, les contraintes de monsieur tout le monde,  doublées d’une vie d’artiste et qui enchaînent jusqu’à vingt interviews dans la même journée pour assurer la promotion de leur album. Le bonheur, ce sont les petites anecdotes qu’ils nous livrent comme le lave linge sèche linge du Z7, le petit passage chanté au téléphone ou des fous rires partagés pendant une interview. Des moments magiques, privilégiés, que je croyais ne jamais connaître un jour. Je mesure chaque fois ma chance.

Cependant, comme toujours, il y a le revers de la médaille de l’envers du décors de derrière le rideau. Tout d’abord, cela démystifie quelque peu ce monde magique que l’on regarde avec des yeux d’enfants (même si, le demi siècle passé, l’innocence s’est quelque peu émoussée, encore que). On ne regarde plus les musiciens, autrefois vénérés, de la même manière fatalement. On découvre l’homme derrière l’artiste, des fois c’est magique, des fois c’est décevant. Enfin, cela représente beaucoup de travail, vraiment beaucoup, imaginez donc: une heure pour préparer les questions, une heure d’interview, cinq heures de transcription anglaise, deux heures de traduction française, une heure pour la mise en ligne. Au final dix heures de travail laborieux pour trente minutes de discussion et une cinquantaine de vues pour l’interview sur le site, oui pas plus, nos interviews ne sont pas vraiment lues, c’est ainsi.

Nous sommes très souvent sollicité pour des interviews et nous n’en faisons pas souvent, vous comprenez maintenant pourquoi. Mais j’ai décidé de me faire plaisir et quand l’occasion se présente, de m’offrir une petite conversation privée avec les artistes qui me font vibrer. La démarche est totalement égoïste et alors ?