Ma femme est musicienne

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J’écris ces mots pour tous les artistes que je côtoie et qui ne se rendent pas compte de ce qu’il sont réellement.

Ma femme est musicienne, elle joue de la musique. Sa vie tourne exclusivement autour de ses deux instruments, le piano et le violoncelle, les deux amours de sa vie. J’arrive en sixième position, après nos deux enfants et le chat.

Quoi de plus normal, ma femme est musicienne. Une pièce pour le piano quart de queue, une pièce pour le violoncelle, sans parler du piano numérique qui accepte de partager sa vie avec le violoncelle, gentil piano électrique…

Ma femme est musicienne et va toujours à l’école des musiciens, pour apprendre, pour rencontrer d’autres artistes, pour jouer. Elle use un professeur tous les trois ans en moyenne; un professeur de piano, un professeur de violoncelle, un professeur de musique d’ensemble. Le premier mois il est toujours formidable puis progressivement, dès la seconde année le plus souvent, il ne lui apporte plus rien, il est trop scolaire, il veut lui faire jouer des œuvres qu’elle n’aime pas. Des professeurs Kleenex.

J’ai de la chance car ma femme est musicienne. J’écoute tout plein de musique classique et elle m’apaise. Le piano et le violoncelle résonnent à toute heure dans la maison, avec en bonus la voix de l’artiste qui s’énerve toute seule, qui donne des ordres aux mains, qui peste contre la partition.

Ma femme est musicienne et a besoin d’amour, besoin qu’on la rassure sur son interprétation de Debussy, sur la transcription de ‘We Are The Champions’ de Queen pour piano et hurlements.

Ma femme est musicienne, elle passe son temps sur YouTube à écouter toutes les versions d’une oeuvre, même les pires, ça la rassure.

Ma femme est musicienne, ses humeurs sont comme la musique, certains jours wagnériennes, d’autres jours semblables à du Schumann. Allegro, adagio, pianissimo, double forte, en sol ou en fa, elle est imprévisible. Au plus fort de la tempête, soudain le vent se calme et le soleil brille quelques secondes avant l’averse de grêle.

Ma femme est musicienne, elle aime la musique d’ensemble. Mais pour la musique d’ensemble il faut être au moins deux. Et avec qui jouer, lorsque l’on consacre sa vie à la musique ? Des amateurs éclairés qui consacrent deux heures par jour minimum à leur instrument ? Soit ils n’ont pas le niveau, soit ils sont trop forts, soit il ne sont pas assez disponibles ou bien ne s’intéressent pas à la musique française du début du vingtième siècle. Ma femme aime la musique d’ensemble mais joue le plus souvent seule ou accompagne au piano des enfants en première année de violon.

Ma femme est musicienne mais n’aime pas se produire devant un public. Chaque audition est une torture, un peu pour elle, énormément pour nous, surtout durant les quinze jours qui précèdent l’exercice.

Ma femme est musicienne, elle joue avec d’autres musiciens. Des artistes fragiles, sensibles, un peu fous, qui sacrifient à leur art, travail, temps libre, richesse et famille. Tout l’opposé de mon épouse.

Ma femme est musicienne et je ne pourrais vivre sans ma musicienne.

Une interview

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Chaque interview est une rencontre. Une rencontre avec un inconnu célèbre. Une trentaine de minutes de face à face, pendant lesquelles chacun doit trouver ses marques et écouter. Tout se fait très vite, après un rapide bonjour, deux banalités, la peur au ventre, face à des monstres sacrés du rock, il faut se lancer, avoir l’air professionnel, ne pas commettre d’impair, être à l’écoute et comprendre le chemin sur lequel veut vous conduire l’artiste.

Le chroniqueur n’arrive pas les mains dans les poches à une interview, il a préparé son travail, la biographie, la discographie, s’est plongé dans le dernier album du groupe, dans les textes. Hélas, il arrive que l’on sache quel personne on va interviewer à la dernière minute et là l’exercice devient délicat, il faut vite se renseigner, ré orienter les questions.

Souvent l’artiste pense que vous connaissez tout de lui et de la musique et vous parle de groupes ou de musiciens dont vous n’avez jamais entendu parler. Le tout c’est de ne pas paraître trop bête dans ces cas là et se renseigner après. Il arrive également que les questions posées dérangent, agacent. Ils faut alors bien lire les signes pour ne pas s’enfoncer d’avantage et ne pas transformer une interview sympathique en enfer.

Il arrive que les réponses soient non publiables, des réponses agacées, des skud lancés en direction d’autres artistes, des réponses à mourir de rire (oui mais s’il te plaît ne publie pas ça), des scoops énormes mais à garder au chaud pendant plusieurs mois car rien n’est vraiment signé.

Dans l’ensemble, nous nous en sommes pas trop mal sorti, même avec mon anglais pathétique.

Une interview c’est une semaine de stress, trente minutes de discussion et quinze à vingt heures de transcription, traduction, relecture et mise en page, tout ça pour moins d’une centaine de vues parfois. Pas rentable assurément. Alors nous avons décidé de n’en faire que pour le plaisir ou pour rendre service.

Mais comment résister à l’envie de rentrer dans l’intimité de la vie des artistes, s’installer dans leur loge, assister à la préparation de leur concert, les entendre parler de sujets improbables, rire, parler de leur passion, la musique, découvrir la personne qui se cache derrière l’icône rock, doubler la file de fans attendant l’ouverture des porte et rentrer dans le saint des saints, sous les regards dégoûtés des groupies frigorifiées par une pluie glaciale qui attendent là depuis des heures ?

L’envers du décors

Adolescent, alors que j’écoutais Genesis, Peter Gabriel ou de Marillion sur mon 33 tours, je fantasmais, comme bien d’autres, à l’idée de rencontrer mes idoles, de discuter avec eux de leur musique, d’être invité en backstage ou de me faire taper sur l’épaule par un chanteur de renommée internationale en buvant une bière avec lui.

Aujourd’hui, à cinquante ans révolus, je m’aperçois, que le fantasme est devenu réalité, que je suis passé de l’autre côté du rideau. Tout a commencé par des interviews par mails, une façon impersonnelle et peu stressante de poser ses questions. Il y a eu également quelques rencontres de musiciens français, et des invitations à assister à des concerts, parfois même de l’instant zéro jusque la conclusion de la soirée. Et enfin, depuis peu, des interviews de grosses pointures du progressif au téléphone ou via Skype. Depuis peu, car mon anglais étant minable, ma timidité maladive, je n’osais pas me lancer en direct. Il m’a fallu un premier galop en double pour oser continuer seul (merci Laurent). Cela fait drôle, d’avoir au bout du fil des personnes comme Neal Morse, Daniel Gildenlöw ou Arjen Lucassen. Avec le recul, on peut se dire que ce sont des personnes comme les autres, des artistes qui font leur job, n’empêche que discuter librement avec eux, leur poser des questions, les écouter plaisanter, décontractés et simples, sympas, ça fait vraiment tout drôle.

L’envers du décors, c’est de découvrir des personnes avec une vie, une famille, des amis, les contraintes de monsieur tout le monde,  doublées d’une vie d’artiste et qui enchaînent jusqu’à vingt interviews dans la même journée pour assurer la promotion de leur album. Le bonheur, ce sont les petites anecdotes qu’ils nous livrent comme le lave linge sèche linge du Z7, le petit passage chanté au téléphone ou des fous rires partagés pendant une interview. Des moments magiques, privilégiés, que je croyais ne jamais connaître un jour. Je mesure chaque fois ma chance.

Cependant, comme toujours, il y a le revers de la médaille de l’envers du décors de derrière le rideau. Tout d’abord, cela démystifie quelque peu ce monde magique que l’on regarde avec des yeux d’enfants (même si, le demi siècle passé, l’innocence s’est quelque peu émoussée, encore que). On ne regarde plus les musiciens, autrefois vénérés, de la même manière fatalement. On découvre l’homme derrière l’artiste, des fois c’est magique, des fois c’est décevant. Enfin, cela représente beaucoup de travail, vraiment beaucoup, imaginez donc: une heure pour préparer les questions, une heure d’interview, cinq heures de transcription anglaise, deux heures de traduction française, une heure pour la mise en ligne. Au final dix heures de travail laborieux pour trente minutes de discussion et une cinquantaine de vues pour l’interview sur le site, oui pas plus, nos interviews ne sont pas vraiment lues, c’est ainsi.

Nous sommes très souvent sollicité pour des interviews et nous n’en faisons pas souvent, vous comprenez maintenant pourquoi. Mais j’ai décidé de me faire plaisir et quand l’occasion se présente, de m’offrir une petite conversation privée avec les artistes qui me font vibrer. La démarche est totalement égoïste et alors ?