Une interview

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Chaque interview est une rencontre. Une rencontre avec un inconnu célèbre. Une trentaine de minutes de face à face, pendant lesquelles chacun doit trouver ses marques et écouter. Tout se fait très vite, après un rapide bonjour, deux banalités, la peur au ventre, face à des monstres sacrés du rock, il faut se lancer, avoir l’air professionnel, ne pas commettre d’impair, être à l’écoute et comprendre le chemin sur lequel veut vous conduire l’artiste.

Le chroniqueur n’arrive pas les mains dans les poches à une interview, il a préparé son travail, la biographie, la discographie, s’est plongé dans le dernier album du groupe, dans les textes. Hélas, il arrive que l’on sache quel personne on va interviewer à la dernière minute et là l’exercice devient délicat, il faut vite se renseigner, ré orienter les questions.

Souvent l’artiste pense que vous connaissez tout de lui et de la musique et vous parle de groupes ou de musiciens dont vous n’avez jamais entendu parler. Le tout c’est de ne pas paraître trop bête dans ces cas là et se renseigner après. Il arrive également que les questions posées dérangent, agacent. Ils faut alors bien lire les signes pour ne pas s’enfoncer d’avantage et ne pas transformer une interview sympathique en enfer.

Il arrive que les réponses soient non publiables, des réponses agacées, des skud lancés en direction d’autres artistes, des réponses à mourir de rire (oui mais s’il te plaît ne publie pas ça), des scoops énormes mais à garder au chaud pendant plusieurs mois car rien n’est vraiment signé.

Dans l’ensemble, nous nous en sommes pas trop mal sorti, même avec mon anglais pathétique.

Une interview c’est une semaine de stress, trente minutes de discussion et quinze à vingt heures de transcription, traduction, relecture et mise en page, tout ça pour moins d’une centaine de vues parfois. Pas rentable assurément. Alors nous avons décidé de n’en faire que pour le plaisir ou pour rendre service.

Mais comment résister à l’envie de rentrer dans l’intimité de la vie des artistes, s’installer dans leur loge, assister à la préparation de leur concert, les entendre parler de sujets improbables, rire, parler de leur passion, la musique, découvrir la personne qui se cache derrière l’icône rock, doubler la file de fans attendant l’ouverture des porte et rentrer dans le saint des saints, sous les regards dégoûtés des groupies frigorifiées par une pluie glaciale qui attendent là depuis des heures ?

L’interview

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Depuis mon adolescence, j’écoute du rock progressif. Genesis, Peter Gabriel, Steve Hackett firent vibrer mes tympans des années durant et encore aujourd’hui.

J’ai continué avec Marillion, Pendragon, Arena, Big Big Train, Izz, Dream Theater, et me suis lancé un jour dans un webzine sur le rock progressif.

J’ai reçu mes premières promotions, ai été  convié à mes premiers concerts en tant que presse et j’ai réalisé des interviews, d’abord par mail, puis via Skype ou au téléphone et même parfois en tête à tête.

J’ai discuté avec Weend’ô, Neal Morse, Franck Carducci, Daniel Gildenlow, Cris, Arjen Lucassen, Lazuli et un jour, un jour, j’ai reçu un coup de fil de Steve Hackett.

D’accord, il ne me téléphonait pas pour savoir ce que je pensais de son dernier album ni pour s’inviter à boire un verre à la maison, mais quand même, je parlais au guitariste du groupe qui avait radicalement révolutionné ma perception du rock, j’avais alors 14 ans.

Après avoir écouté son dernier album, At The Edge Of Light, je demandais à son agent, si je pouvais réaliser une interview par mail avec lui. Par mail, car soyons honnête, mon anglais est misérable,  pathétique même, alors à l’oral, imaginez la honte, surtout avec le trac.

On me répondit que Steve préférait une discussion en direct au téléphone. En … Au téléphone… En anglais… ouille, aille, ouille !

Dans ces cas là, mieux vaut ne pas réfléchir, je répondis : « Ok, go go go ! ».

Rendez-vous fut pris et commença une semaine de pure terreur.

  • Phase une, caser 40 ans de questions en moins de trente minutes.
  • Phase deux, le rédiger en anglais.
  • Phase trois, le répéter sans trop bafouiller.
  • Phase quatre, essayer de dormir alors que toutes les heures je me sortais d’un rêve où je parlais anglais à Steve.

Le weekend précédent l’interview, je passais mon temps à essayer des mécanismes pour enregistrer un appel téléphonique, enregistreur Zoom, PC, iPhones côte à côte, applications de l’Apple Store, bref la panique.

Je passais un long moment avec mon père au téléphone, à tester, sans qu’il le sache, plusieurs de ces technologies, pardon papa…

Enfin le jour J arriva. Une journée commencée à 4h du mat, en mode panique, pour une interview à 18h30.

C’est long, plus de quatorze heures d’attente. Extrêmement long. Quatre révisions de mon interview plus tard, dix essais plus loin avec mon enregistreur, l’estomac noué, la vessie taquine, les intestins en vrac, l’heure du crime arriva.

L’iPhone sonna. « Hello Steve Hackett calling, are you Jean-Christophe Le Brun ? ». « Heu, yes. ».

C’était parti pour les trente minutes les plus courtes de ma vie. Trente minutes pendant lesquelles le guitariste me parla d’engagement, de musique, de littérature, de peinture. Une personne passionnée et passionnante avec laquelle j’aurai rêvé de discuter toute une soirée. Il me parla, sans le savoir, de mes peintres préféré, d’un romancier que j’adore, de choristes qui ont fait vibrer mon âme, d’idées avec lesquelles je suis complètement d’accord. Un artiste, cultivé, simple, gentil, accessible.

Je venais de discuter avec Steve Hackett.

En transcrivant laborieusement l’interview, je découvre avec stupeur des détails qui m’avaient échappés pendant la conversation, des mots sur lesquels j’aurai pu rebondir, la façon qu’il a eu d’intégrer mes remarques à ses réponses. Je suis affreusement frustré et confus d’être si mauvais en anglais.

J’ai discuté avec l’artiste qui se trouve au sommet de ma pyramide progressive, dans mon panthéon des dieux des seventies, j’en suis encore abasourdi.

Hélas, il y a toujours un prix à payer.

Le prix, ce sont plus de dix heures de travail, casque sur les oreilles, à retranscrire l’interview en anglais puis à la traduire, à entendre un français à l’anglais minable s’empêtrer lamentablement dans les conjugaisons et le mots de liaison de la langue de Shakespeare pendant que son interlocuteur, presque imperturbable, tente de décoder la question cachée dans ce charabia pitoyable…

Merci Monsieur Hackett pour votre patience, votre gentillesse. Même si vous faites la promotion de votre nouvel album, vous le faite avec panache.

Une heure plus tard, c’était une toute autre interview qui passait à la télévision. Une homme cultivé lui aussi, mais assurément méprisant.