Portraits

Image

Lorsque vous passez toutes vos soirées à photographier des accordéonistes, vous faites inévitablement des rencontres. Je vous passe les amis, les connaissances, les potes tenant les stands et les rares photographes couvrant les soirées. Je vais vous parler des autres, ces rencontres auxquelles je ne m’attendais pas.

Présents tous les soirs, quelque soit le temps, l’heure, la musique et le lieu, ils m’ont suivi et collé à la peau. Des nués de moustiques ont sucé mon sang et failli provoquer à plusieurs reprises des catastrophes lorsque d’un geste brusque je les chassais d’une main alors que je tenais le téléobjectif de l’autre.

Plus mignon, ce fut cette petite fille de trois ou quatre ans qui intriguée par l’appareil photo m’a couru après pour regarder les clichés sur l’écran dès que je shootais. Ce qui était amusant lors du premier concert assez statique sous la tente est devenu très compliqué dans la grande salle où les photographes doivent bouger très vite et prendre des positions acrobatiques pour réussir des images rock. Imaginez. Vous vous retrouvez avec un petit bout de chou accroché à vos baskets. En plus de surveiller le groupe qui bouge très vite sur scène il faut veiller à ne pas bousculer l’adorable petite curieuse collée contre vous.

Il y a eu également cette toute jeune accordéoniste à la mine boudeuse noyée dans un orchestre de pianos à bretelles et que je n’ai pas osé photographier. Quand je pontais mon objectif dans sa direction elle me jetait un regard noir en s’agrippant à son accordéon presque aussi grand qu’elle. En règle générale j’évite les photos d’enfants, les parents ne possède aucun humour dans ces cas là, même s’ils inondent Facebook de photos moches de leur progéniture.

Et puis il y a eu ce petit bonhomme observant un des musiciens du groupe Mes Souliers sont Rouges installer son matériel. Un instant leurs regards se sont croisés (oui j’ai manqué la photo de pas grand chose) et une complicité est née entre le guitariste et l’artiste en devenir.

Je suis également tombé sur un italien volubile qui m’a quasiment embrassé en me baraguinant un truc incompréhensible tout en me montrant mon teeshirt. J’ai compris après quelques secondes qu’il s’agissait d’un fan du groupe Messa dont je portais les couleurs ce soir là. Peut-être s’agissait-il d’un des musiciens des groupes présents ce soir là ou d’un technicien, toujours est-il qu’il a disparu après cette accolade enthousiaste et que je ne l’ai plus revu.

Dans le même genre j’ai croisé un ingénieur son arborant les couleurs du groupe Cult of Luna. On s’est tout de suite compris en grimaçant devant certains ensembles. Assurément un excellent ingé son, parce que lorsque que l’on écoute de la bonne musique… enfin bref.

L’avant dernier soir, j’ai été également interpellé par une des charmantes organisatrices du festival, la première personne à vraiment s’inquiéter de voir un photographe couvrir les concerts et à m’informer des modalités des soirées. Cela faisait juste huit jours que j’assistais à chaque concert.

Une dame a aussi lancé dans mon dos un « Si vous êtes là c’est que la musique va être épouvantable ! ». Je me suis retourné, et j’ai découvert ma voisine qui est également ma dentiste.  Elle sait que j’écoute des groupes assez étranges (pour le français moyen) même si elle habite trop loin pour les entendre. Elle m’a tout fait avouer sous la torture avec sa fraise.

Il y avait aussi les habitués que l’on retrouvait chaque soir : un danseur allant nu pieds, une dame déguisée en petite fille, une aveugle qui participait à toutes les danses, un photographe avec chaque jour un nouveau tee shirt de metal, deux jumelles accordéonistes qui jouaient dans plusieurs ensembles, des gamins qui couraient partout, un danseur chauve n’osant jamais aller au centre de la piste, un alsaco étrange qui braillait tout ce qu’il pouvait dans la rue et puis des moustiques, plein des moustiques.

Ceinture et bretelles

Image

Autrefois je couvrais des concerts de rock, des festivals de métal et j’interviewais des figures de proue de la scène progressive. Drug, sex and rock’n roll.

L’âge aidant, doublé d’un certain désengagement de la scène médiatique, j’ai du mendier mes accréditations jusqu’au jour où je n’en ai plus eu du tout. Alors j’ai commencé à couvrir des concerts classiques, des harmonies locales pour finir au Printemps des Bretelles.

Le Printemps des Bretelles est le festival d’accordéon de la ville d’Illkirch-Graffenstaden. Dix jours de concerts et bals autour du piano à bretelles dans différents lieux de ma commune. 

Cette année, je me suis porté volontaire pour couvrir l’événement malgré mon manque d’intérêt évident pour cet instrument et une météo calamiteuse. Volontaire mais sans contrainte. J’allais, en fonction de mon humeur, de mon emploi du temps et de ma fatigue, photographier ou non les artistes.

Avec des entrées libres mais aucune accréditation officielle de photographe, l’expérience était proche de l’improvisation totale et il fallait négocier en douceur avec la sécurité certains accès.

Tous les soirs sauf relâche, du vendredi 31 mai au dimanche 9 juin, je suis parti de la maison à pied ou à vélo vers 18h30 pour le concert amateur de 19h sous la tente devant l’Illiade. L’occasion de manger un burger frites avant d’attaquer le spectacle de 20h programmé en extérieurs lorsqu’il ne pleuvait pas, soit dans la grande salle de spectacle ou à la Vill’A un peu plus loin.

Au menu des soirées, Edith Piaf, Jacques Brel, Salsa, chanson française, danses créoles, musique celtique, folk des Balkan, le tout assaisonné d’accordéon, autant dire rien qui n’appartienne à mon répertoire de prédilection.

Ne nous mentons pas, les groupes n’ont pas mis le feu dans la foule. Le groupe Mes Souliers sont Rouges a été certainement le point d’orgue de ce festival avec la nuit brésilienne mais pas assez pour que je reste jusqu’au bout. En fait, le plus souvent j’ai photographié la première demi-heure avant de plier bagages par manque d’intérêt pour la musique. Musiciens statiques, musique moyenne, éclairages minimalistes, public maussade, pluie torrentielle, le festival n’avait pas grand chose de festif au bout du compte.

J’ai quand même ramené quelques clichés sympas de ces soirées. Ils sont temporairement disponibles sur Flickr avant que je ne les efface. Je n’ai pas mitraillé comme un fou non plus, ne voulant pas trier et traiter des centaines d’images chaque soir. L’objectif pour moi était d’illustrer l’accordéon en live, un instrument qui possède un certain cachet et que j’ai rarement photographié.

Neuf soirées, dix-huit concerts, soixante-onze photo publiées dont une oscarisée, finalement j’aurai presque couvert tout le festival, grignotant le soir une tranche de pain de mie et tomate avant partir à pied vers 18h30 photographier le premier groupe pour revenir trois heures plus tard trier les images avant de me coucher.

Je me pose la question du bien fondé de la gratuité du festival. D’après les anciens, lorsque le billet d’entrée était de vingt ou trente euros, les salles étaient combles et les artistes qui se produisaient avaient un certain renom. « C’était mieux avant… ».

J’avais rêvé de tango argentin au soleil, de folk irlandais sous les étoiles, de bal musette entre les arbres, pas de danse créole dépressive en salle ou de Piaf sous bâche plastique noire.