La fin des dinosaures

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L’amateur de rock progressif français est une espèce en voie d’extinction qui appartient au troisième âge. Il parle plus de sa prostate que du dernier album de The Flower Kings. Tous ses tee-shirts XXL possèdent une étrange déformation au niveau du nombril que l’on nomme communément le bébé houblon. Il écoute principalement des artistes anglophones mais ne comprend pas un traître mot de la langue de Shakespeare, de toute manière il est à moitié sourd.

Le proghead béret braguette est fidèle en amour. Il n’admettra jamais que son groupe fétiche pourrait avoir commis un jour une bouse. C’est également un intégriste qui chante le Genesis en latin. Il n’écoute que du prog, décliné sous toutes ses formes, rétro-prog, canterbury, prog symphonique, post-rock, doom, métal -prog, psychédélique, stoner, jazz-fusion, space-rock, cinématique, néo-prog, zeuhl, hard-rock… attention, c’est pointu !

Chaque année il part en croisière avec ses potes et ses artistes adulés pour des heures de concert, d’autographes et de bain de soleil. Pour peu que le navire croise un iceberg, le rock progressif, qui se fait déjà bien rare, disparaîtrait définitivement de la scène musicale.

Il se rend à de nombreux concerts partout en Europe en déambulateur, mange dans des restaurants étoilés et dort dans des hôtels confortables. Car il est vieux donc il a les moyens. Il se plaint quand même du prix du compact disk et des vinyles de temps en temps, il faut dire que le digital, il ne connaît pas et qu’il s’offre plusieurs albums par semaine.

Dans vingt ans, sans même la chute d’une météorite, ce sera une nouvelle extinction de masse. Celle des amateurs de rock progressif et des artistes qu’ils écoutent. Parce que vu la pyramide des âges, on sera tous bientôt six pieds sous terre.

L’extinction des dinosaures

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Les scientifiques pensaient qu’il s’agissait d’une météorite, finalement ils optent pour l’hypothèse de la comète. Voici soixante-six millions d’années, les grands reptiles qui faisaient trembler la terre en galopant, ont brutalement disparu, permettant à d’autres espèces d’émerger. Nous ne serions probablement pas sur terre aujourd’hui sans la comète, alors merci.

En musique également, des formations dominèrent le Mésozoïque du rock. Naturellement certaines de ces créatures fragiles finirent par disparaître d’overdose, de cirrhose , électrocutées dans leur baignoire avec un sèche-cheveux ou pendues au bout d’une branche. Mais d’autres, plus coriaces, survécurent et devinrent des dinosaures.

Malheureusement, aucune comète rock n’a encore produit de grande extinction de masse et il faut attendre que la vieillesse terrasse les plus endurants pour faire place nette. Mais même une fois la bête enterrée, des adorateurs perpétuent sa mémoire et une seconde, voire une troisième génération de de reptiles géants voit le jour.

Les dinosaures du rock, adulés par des amateurs incontinents en fauteuils roulants, survivent bien au-delà du raisonnable, empêchant les jeunes pousses de prendre la relève. Formés dans les sixties et seventies, ces brontosaures à guitares, dégarnis parkinsonniens, composent en roue libre des resucées de leur jeunesse perdue, vidées de toute substance créatrice, plaçant un pathétique solo tremblotant qui ravira les fans à moitié sourds qui n’osent plus écouter ce que jouent les jeunes trop bruyants.

Des maisons de disques, autrefois novatrices, se spécialisent aujourd’hui dans la production de ces antiquités remisent sommairement en état, à croire que leurs dirigeants se fossilisent ou bien que les actionnaires ne jurent que par les valeurs sures. Résultat des courses, le marché est inondé de groupes de quarante ans d’age. Si pour un whisky c’est souvent un gage d’excellence, pour de rock c’est la garantie de toute absence de surprise.

Et ce qui me plait dans la musique, c’est justement de sortir de ma zone de confort pour ne pas mourrir d’ennui, surtout lorsque l’on écoute beaucoup (trop) de musique. Je suis désespéré en découvrant un nouvel album d’un groupe de prog antédiluvien au rythme pathétique, au chanteur à la voix éraillée, aux soli datant d’un demi-siècle, qui compile les tubes de quatre décennie de carrière inégale sans rien apporter de neuf. Ce qui m’agace le plus, c’est que ce groupe vendra plus de galettes, vinyles, compact disks, tee shirts, coffrets qu’une jeune formation talentueuse n’aura de téléchargement sur son Bandcamp, tout ça parce que son public est vieux et plein de tunes.