Le canapé

Image

Il ne se passe pas une journée sans que l’on me propose de réaliser une interview. Le groupe sort un album, change de chanteur, vient de publier un clip, prépare une tournée, vous ne voulez pas les interviewer ? 

Le problème c’est qu’une interview demande du temps. Il faut la préparer, convenir d’une date, d’un média si elle ne se réalise pas en direct, passer une heure à poser des questions et écouter les réponses puis quatre à cinq heures pour les retranscrire et les traduire pour nos lecteurs anglophobes.

Et le pire dans tout cela c’est que les interviews ne sont pas beaucoup lues, notre public préfère les chroniques. Mais alors pourquoi les artistes aiment tant les interviews ?

Il m’a fallu du temps pour comprendre mais maintenant je sais. Je l’ai enfin compris après toutes ses années de dur labeur non récompensé par l’audimat. 

L’artiste est narcissique et a besoin d’être aimé mais par-dessus tout, l’artiste est ce qu’il est car il souffre. L’artiste est forcément névrosé sinon il ne serait pas artiste. Et chaque interview est pour lui, lorsqu’elle est bien menée, une demi-heure de thérapie gratuite. 

L’artiste vous parle de ses problèmes, des expériences qu’il a voulu raconter dans sa musique et que personne n’a compris. Il vous raconte ses galères, ses peurs et vous l’écoutez en prenant des notes et en émettant des « hon hon », des « oui », des « je vois ». 

Bien entendu vous posez des questions, mais lui n’y répond presque jamais ou bien à côté, il poursuit son interminable monologue et c’est tout juste s’il ne s’effondre pas en larmes sur son canapé. Ayez toujours un mouchoir propre à tendre pendant une interview. 

Mais ne perdrez pas de vue que le musicien a besoin de rire pour oublier sa peine, alors faites le rire, ça l’aide à vider son sac. Une interview sans (rires) est une interview ratée. Mais faites en sorte qu’il ne rie pas trop de vous quand même, vous pourriez mal le prendre et lui casser la figure. Des fois l’artiste rit et vous ne comprenez pas pourquoi, alors vous riez aussi afin de ne pas paraître stupide et lors de la transcription, une fois que vous avez compris ce qu’il disait, là vous vous sentez vraiment stupide.

Il peut arriver également que vous agaciez l’artiste avec La Question qu’il ne fallait pas poser. Des fois même on vous prévient à l’avance de ne pas aborder tel ou tel sujet avant l’interview, si si. Pour éviter de vous enfoncer, mieux vaut avoir la personne en visuel, le visage et la gestuelle vous alertent assez vite si vous avez commis un impair. Parce que si vous commettez cette gaffe, pensez au pauvre journaliste qui passera après vous. Pensez à ce que dira l’artiste au sujet des apprentis scribouillards. Il lui faudra au moins cinq ou six séances de thérapie pour passer à autre chose et parler de ses autres traumatismes. Car c’est dur d’être un artiste. Vous ne voudriez pas l’interviewer, il vient justement de répondre à une interview ?

Per aspera ad astra

Vous aussi, enfant, vous preniez votre père pour un héros, même s’il était absent de la maison la plupart du temps ? Le mien est aujourd’hui en maison de retraite à l’autre bout de la France et c’est aussi bien ainsi. Nous nous parlons une fois par semaine au téléphone et nous nous voyons une fois tous les deux ans. Je n’ai pas besoin d’une psychanalyse et encore moins d’un voyage jusque que la planète Neptune pour régler ça.

Je suis allé voir Ad Asra.

Je vais au cinéma aussi rarement que je rends visite à mon père pourtant les salles sont nettement moins éloignées que lui. Pourquoi a-t-il fallu que j’aille regarder ce nouveau chef d’oeuvre de la science-fiction moderne ? Science-Fiction ? Un mec dans un scaphandre sur une affiche, un attrape nigaud qui fonctionne à chaque fois avec l’imbécile que je suis, sans doute à cause de ma vocation d’astronaute avortée, encore une chose dont mon père est certainement responsable.

Ad Astra, le film thérapie qui aurait pu être réalisé en huis-clos par Woody Allen, se déroule entre la Terre et Neptune. L’histoire est la suivante (attention gros spoiler) : le docteur McBride alias paounet, s’en va aux confins de l’univers rechercher la vie extraterrestre. Après des années de voyage, arrivés dans la banlieue de Neptune, l’expédition scientifique tourne au drame et tout l’équipage est déclarée disparue. Sauf que quelles années plus tard, la Terre est bombardée de vagues d’énergie dévastatrices en provenance de Neptune et les chercheurs soupçonnent alors papa McBride (on se demande bien pourquoi d’ailleurs) d’en être le responsable. Son fils Roy, est alors sollicité pour raisonner papa. Mais pour lui passer un coup de fil laser, il faut qu’il se rende à la plus proche cabine téléphonique connue, sur la planète Mars. Un scénario abracadabrant ? Oui.

Commencent alors les aventures rocambolesques de Brad Pitt (bébé Mc Bride) : vol vers la Lune, bataille de rovers près de la face cachée, vol pour Mars et ridicule sauvetage à mi chemin, atterrissage en catastrophe, coups de téléphone laser depuis un studio top moumoute sur Mars mais papa ne répond pas, vol en passager clandestin vers Neptune après avoir malencontreusement tué tout l’équipage, soixante dix neufs jours de solitude et enfin papa McBride en chair et en poils.

Quarante pulsations au repos, moins de quatre-vingt en chute libre, Roy Mc Bride est un surhomme.

Je ne vous raconte pas la fin mais sachez juste que Brad n’aura plus besoin d’évaluation psychologique. Outre l’aspect psychanalyse à deux balles de l’histoire, le ridicule prétexte de la Science-Fiction, les scènes d’actions gratuites, les incohérences scientifiques, le film est juste chiant à mourrir. Croyez-moi, c’est bien plus amusant d’aller parler deux heures durant avec son vieux papa mutique dans un mouroir à l’autre bout de la France, que de rester assis à regarder le film d’un réalisateur qui a encore de nombreux problèmes à régler avec son père.

Olympus Mons

Image

– J’ai déjà dû m’allonger sur ce divan de nombreuses fois pour vous raconter cette obsession docteur.
– Mmmm, continuez.
– A Noël, mon fils…
– Votre fils vous dites ?
– Oui mon fils à Noël donc…
– Un problème œdipien à régler je suppose ?
– Mais non, c’est mon fils c’est tout. Donc à Noël…
– Vous n’aimez pas les fêtes de Noël, un rejet de la famille.
– Non pas du tout, c’est juste qu’à Noël mon fils…
– Je comprends mieux, deux facteurs rentrent dans votre névrose, votre fils œdipien et les fêtes de fin d’années, nous y voila, continuez.
– Oui bon, donc à Noël, mon fils m’a offert…
– Vous refusez les cadeaux, intéressant, poursuivez.
– Non j’adore les cadeaux justement.
– Et celui-là vous a déçu ?
– Mais laissez moi finir enfin !
– Il y a de la violence en vous, libérez-là, c’est bien.
– Donc à Noël, mon fils m’a offert une BD.
– Vous restez toujours sur les mêmes thématiques, Noël, fils, intéressant ce nouvel élément, la BD, approfondissez.
– Justement, à Noël mon fils m’a offert une BD parlant de Mars.
– Mmmm, continuez.
– Non mais vous ne comprenez pas, la BD, parlait de Mars.
– Oui, poursuivez.
– Non mais Mars, c’est un thème qui m’obsède depuis des années, en fait, depuis que j’ai lu Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, je devais être en cinquième, et depuis, je lis, je regarde, je dévore tout ce qui touche à Mars. Alors comprenez, que mon fils m’offre pour Noël une BD parlant de Mars, c’est juste terrifiant pour moi, la névrose se propage, ou peut-être le fait-il exprès d’alimenter mon vice, à moins qu’il veuille juste me faire plaisir, je ne sais plus quoi penser.
– Hmmm, hmmm, c’était quoi le nom de cette BD ?
– Heu quel rapport ?
– C’est important, répondez.
– Olympus Mons, le tome un, comme le volcan de 23 km de haut avec une caldeira de plus de 30 km de rayon, imaginez un peu, un volcan fabuleux, trois fois le toit du monde, dominant Amazonis Planita à l’ouest et les monts Tharsis au sud-est.
– Oui je vois, et quels sont les auteurs ?
– Heu, enfin, Bec et Raffaele pourquoi ?
– Non comme ça, et c’est bien ?
– Oui et non en fait.
– Développez.
– Ben j’en suis au tome deux…
– Bien bien, il y a déjà un tome deux, donc vous avez continué la lecture après le premier cadeau ?
– Heu oui, obsession oblige, et donc ça parle plus de civilisation extraterrestre, de vaisseaux et de Mars, même si une partie seulement du récit se passe sur Mars.
– Des vaisseaux, des extraterrestres et Mars, continuez.
– Le graphisme n’est pas extraordinaire, mais l’intrigue est prenante avec les différents blocs politiques qui s’affrontent, le médium qui voit l’intérieur d’un vaisseau qui gît au fond de l’océan et qui pressant un grand danger pour l’humanité.
– Mmmm intéressant tout ça.
– Oui mais bon, vous comprenez docteur, c’est encore une de ces fichues BDs qui parle de Mars, alors je me demande s’il est vraiment sain que je lise ce genre d’ouvrage, si je ne me ruine pas la santé mentale avec ces échappatoires à la vie réelle et si mon fils n’alimente pas sciemment mon obsession dans un but de vengeance et de…
– Oui bien entendu, nous en reparlerons à la prochaine séance si vous voulez bien. Vous connaissez une boutique de BD près de mon cabinet ?
– Une boutique de BD ? Heu oui, il y a Bildergarte, rue des Serruriers.
– Merci, je vous laisse, j’ai une course urgente à faire, désolé.
– Au revoir docteur.
– Oui c’est ça, au revoir, Olympus Mons vous avez dit, c’est bien ça ?
– Oui docteur…
– Merci !