La Pierre Jaune

Je suis un antinucléaire de base, antimilitariste et partisan de la décroissance. Je suis né à Saint-Brieuc dans les Côtes de Porcs en Bretagne et ma belle soeur vit et travaille à la Hague. Mes frères aînés ont manifesté à Plogoff et j’ai vécu Tchernobyl et Fukushima comme bien d’autres.

J’étais donc tout naturellement prédisposé à lire La Pierre Jaune, le premier roman de Geoffrey Le Guilcher…

L’histoire commence comme un thriller légèrement décalé. Jack un agent d’une organisation secrète, infiltre un groupe de militants vivant dans la presqu’île de Rhuys. C’est à ce moment qu’une explosion survient à l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague, entraînant une catastrophe nucléaire sept fois plus importante que celle de Tchernobyl. 

La Bretagne et le Cotentin sont rapidement évacués mais les activistes de La Pierre Jaune et Jack, notre agent infiltré, décident de rester sur place pour des raisons très différentes.

Outre un réquisitoire anti-nucléaire on ne peut plus glauque et cynique, le roman dépeint une communauté de marginaux, certains étant de doux rêveurs, d’autres des extrémistes, et raconte Jack confronté à son passé d’agent gouvernemental et sa mutation au contact de ces marginaux.

Commencé comme un roman d’espionnage, le livre continue post-apocalyptique et s’achève sur une histoire humaine. Un excellent premier roman qui en appelle beaucoup d’autres.

De la théorie du complot

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PHOTO DNA Denis Werwer

Ce week-end, un de mes voisins, fort sympathique au demeurant (il aime le métal), m’a entretenu pendant une heure du grand complot contre l’humanité qui se joue en ce moment pendant que je taillais le massif d’hortensias. Ce plant venu du Japon nécessite une taille annuelle pour ne pas devenir une monstroplante de trois mètres de haut qui consomme deux litres d’eau par jour.

Le garçon est un rebelle dans l’âme. Homme au foyer, il s’occupe de ses bambins pendant que son épouse joue les institutrices. Informaticien de formation, il hante la toile à la recherche d’informations. Dès le premier confinement, en mars dernier, j’ai bien noté qu’il contournait allègrement les restrictions de déplacement, se refusait à porter un masque et mettait en doute la mortalité du COVID-19.

Mais cette fois son discours tendait à affirmer que pendant l’épidémie que nous vivions, il y avait moins de morts que d’habitude si on tenait compte de la pyramide des ages de que la grippe de 2015 avait tué plus de personnes.

J’avoue n’avoir même pas cherché à vérifier ces allégations, car je suis un mouton.

Le plus fort dans son discours, était l’affirmation comme quoi la fermeture des restaurants, cafés, salles de concerts, petites et moyennes entreprises faisait l’affaire des gouvernements, voulant mettre en place un ordre nouveau, sorte de RAZ de notre société actuelle pour un monde meilleur.

Damned ! Je ne suis pas paranoïaque, un peu con sans doute plutôt, j’essaye d’avoir un minimum confiance en ceux qui nous gouvernent. J’ai bien dit un minimum.

Je n’ai sût que répondre à ce jeune papa, alors je l’ai laissé parler, maintenant plus deux mètres de distance entre nous, chacun se tenant d’un côté du grillage car je tousse un peu. Pense-t-il également que l’homme n’a jamais posé le pied sur la Lune et que la Terre est plate ?

Je peine à croire que ceux qui nous gouvernent soient aussi machiavéliques que les adeptes de la théories complot veulent nous le faire croire. Si j’en étais convaincu, je serai dans la rue pour faire tomber le gouvernement au lieu d’échanger sur des complots fumeux par dessus un grillage de jardin.

Je suis toujours étonné de ces gens intelligents qui se réfugient dans le déni, la paranoïa et les théories du complot pour échapper à la cruelle réalité. Est-ce une réaction de déni face à la réalité implacable de cette épidémie ? Est-ce la panique qui se transforme en paranoïa ? Je n’en sais rien, toujours est-il que les gens deviennent très étranges, vous be trouvez pas, à croire que le gouvernement déverse dans l’atmosphère de puissants psychotropes, ce qui expliquerait la couleur jaune du ciel ces derniers jours. Quoi ? J’ai dit une connerie ?

MotherCloud

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Jusqu’où peut-on aller pour apporter le bonheur ? MotherCloud est un récit à trois voix dans la veine de 1984 et du Meilleur des Mondes. Trois personnages qui nous racontent ce qu’il s’est passé dans le MotherCloud. Il y a Gibson, le patron de l’empire du Cloud à qui il ne reste que quelques jours à vivre, Zianna, l’espionne industrielle qui s’est infiltrée dans le complexe et Praxton, l’ex patron d’une entreprise phagocytée par le Cloud comme temps d’autres et contraint pour manger de devenir un des employés de la multinationale.

MotherCloud propose une vision peu reluisante de nos gafas Amazon, Google, Apple et j’en passe. Une entreprise tentaculaire qui détient le monopole de presque toute la distribution. 

Dans le roman on retrouve les thèmes du mythe de l’entreprise providence, du modèle Amazon, de la surveillance via les objets connectés dans un monde qui s’est effondré, en proie aux conséquences du réchauffement climatique.

L’histoire est menée de main de maître par Rob Hart a tel point qu’il est difficile de s’extraire du récit. Si vous commandiez encore vos objets sur Amazon ou Alibaba, peut-être qu’après avoir lu ce roman vous y réfléchirez à deux fois ensuite. Surtout après avoir lu les remerciements de l’auteur à une certaine Maria Fernandes morte pendant le trajet entre trois Dunkin’ Donuts où elle travaillait à temps partiel pour 550 dollars mensuels.

La poussette électrique

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Au commencement Dieu créa le rasoir électrique Philips car l’homme devait chaque jour couper sa barbe avec une lame et de la mousse alors qu’il aurait pu la sectionner avec une machine vibrante. Dieu vit que l’homme était rasé de près et s’en réjouit. 

Dieu récompensa la femme le deuxième jour avec un couteau électrique Moulinex pour la fête des mères. EDF se réjouit du pic de consommation d’énergie pour découper la brioche et le gigot du dimanche midi. 

Le troisième jour, Dieu créa le vélo électrique car il avait fait croitre des montagnes sur la Terre et que Poulidor finissait toujours deuxième.

Le quatrième jour, pour ne léser personne, Dieu offrit aux enfants les trottinettes électriques et remplit enfin les belles salles d’attente des urgences. 

Le cinquième jour, Dieu creusa la Terre pour y puiser les dernières gouttes de pétrole afin que les voitures puissent encore rouler. Dieu offrit également le vibromasseur électrique à l’épouse délaissée par son époux qui roulait dans son bolide. 

Le sixième jour, en panne sèche, Dieu convertit tous les constructeurs automobiles au moteur électrique et le monde fut beau et propre. 

Le septième jour, assis près de Fukushima, les pied dans l’eau radioactive, Dieu s’ennuyait. Il vit passer une petite fille malade traînant une poussette cassée dans laquelle dormait une jolie poupée calcinée. Dieu réalisa alors que le monde était imparfait. Alors pour parachever son oeuvre, Dieu conçu la poussette électrique pour que les mamans ne peinent plus en promenant leurs enfants leucémiques dans les forêts de Tchernobyl. 

Et le monde fut enfin parfait.

The Expanse

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Alias avait écrit un billet il y a bien longtemps sur The Expanse, cette série de science-fiction. Une série également basée des romans de James S.A. Corey.

Une histoire complexe qui raconte la rencontre de l’humanité avec une protomolécule agressive alors que les tensions sont très vives entre Mars et laTerre et que les habitants de la ceinture d’astéroïdes vivent dans d’épouvantables conditions, à la limite de l’esclavagisme.

Entre space opéra, politique, terrorisme et science-fiction, The Expanse nous plonge dans un univers complexe avec de nombreux récits parallèles, beaucoup de personnages dont James Holden, le capitaine du Rocinante, un vaisseau « emprunté » aux martiens.

J’avais adoré le roman et lorsque j’ai plongé dans sa mise en images, j’ai retrouvé avec bonheur cet univers fouillé et pas forcément aisé à rendre visuellement. Bien entendu, certains personnages n’ont pas forcément collé à l’image que je m’étais faite d’eux, mais dans l’ensemble, à part justement un Holden un peu pâlichon, j’ai trouvé que la série tenait la route.

Je n’ai toujours pas lu le tome 3, et ça tombe bien puisqu’à la médiathèque ils ne disposaient que des deux premières saisons. Je vais donc attaquer le prochain livre pendant les vacances de Noël, peut-être pendant la nuit du réveillon comme le veut une tradition Islandaise, en attendant que ma médiathèque n’achète la saison trois en DVD.

The Game

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Je fais partie des pionniers du numérique français : la première machine sur laquelle j’ai programmé était un TRS 80 de Tandy et j’ai commencé à surfer sur le net aux débuts du web avec Compuserve. Bref je suis un vieux con.

Alors lorsque Alessandro Baricco a publié son essai sur le monde numérique, je me suis précipité chez mon libraire. Car si je suis Mac, iPhone, blogueur, surfeur, je lis encore des livres papiers et écoute des vinyles. 

Alessandro nous raconte l’avènement du numérique, cette révolution technologique et sociale, partant du postulat que les souffrances du XXème siècle ont engendré ce deuxième monde immatériel. J’avoue qu’au début sa thèse m’a laissé quelque peu sceptique lorsque je l’ai écouté présenter son livre sur ARTE dans le 28 Minutes. Il a cependant fini par me convaincre avec ses mots, mais je suis un garçon influençable.

A l’aide de plusieurs moments forts de cette épopée née dans la Silicon Valley (le Web, le moteur de recherche Google, Amazon, l’iPhone, Facebook), présentant quelques piliers de cette construction et traçant pour nous une carte du monde numérique, il raconte l’évolution de notre société, ses résistances, ses paradoxes avec une certaine distance cependant.

Moi qui baigne dans ce monde numérique, j’ai pris conscience de bien des postures, des paradoxes de ce miroir de notre quotidien dans lequel nous passons de plus en plus de temps. Sans être d’accord avec toutes ses assertions (il est artiste, je suis rationnel), il m’a ouvert les yeux sur la révolution culturelle que représente Internet et m’a fait réfléchir à bien des sujets comme ce qu’est aujourd’hui La Vérité dans ce monde deux point zéro.

J’ai pris conscience du Tout en lisant ce livre alors que j’en use chaque jour, l’accès à tous les contenus moyennant pas grand chose. J’ai également découvert que le Mouvement Cinq Etoiles était né sur la toile.

Le livre possède quelques lacunes (je regrette qu’il ait passé sous silence une des grandes révolutions de cette époque, à savoir l’avènement du libre, que ce soit celui de la création artistique ou celui du logiciel), mais il fera réfléchir ceux qui ne le font pas souvent (moi le premier) sur ce nouveau monde fait de réseaux sociaux, d’applications connectées, de jeux, ce monde qu’Alessandro appelle The Game.

Le commerce est loi

Patrouilles de CRS, contrôles et fouille au corps à l’entrée de la ville, transports ne desservant plus le centre, hordes de touristes, cars parkés sur les grands boulevards, la ville est en état de siège; le marché de Noël vient de débuter à Strasbourg. 

Comme je comprends l’exaspération des habitants, noyés dans les vapeurs de vin chaud, les odeurs de churros et les troupeaux en bonnets rouges à clochettes, ces habitants qui ne peuvent plus circuler librement chez eux. Oppressant.

J’ai passé les barrages avec un gros sac noir lourdement rempli de BDs, l’entrouvrant à peine, car il pleuvait ce jour là, ne montrant que la couverture de la première au vigile peu regardant. Caché dessous, il aurait pu y avoir 2 kg de plastique. Mais voilà, je ne dois pas avec la gueule de l’emploi. J’ai une tête de bon français. 

A quoi tout ce dispositif sert-il ? A rassurer les touristes qui dépensent leurs euros au marché de Noël, dans les restaurants, les hôtels et les boutiques de luxe ? 

C’est vrai, l’an passé nous avons eu peur, et c’est bien naturel, pensez donc, une fusillade en plein centre ville.

Mais est-ce que le dispositif alors en place a arrêté le tueur ? Non.

La ville sent les marrons grillés, le vin chaud, la cannelle, la vanille de synthèse. Les vitrines croulent sous les décorations et les chalets sont installés sur la place de la cathédrale.

Pourtant je n’ai pas envie de visiter le Marché de Noël cette année, encore moins que l’an passé. Trop de touristes se pressent dans les allées, trop de policiers scrutent les visiteurs, trop de Strasbourgeois sont pris au piège dans leurs appartements attendant que tout cela se termine enfin.

J’aimais tant le Marché de Noël avant que Strasbourg n’en devienne la capitale, avant l’invasion touristique de masse et la sécurisation à outrance. 

Aujourd’hui, avec ces barrages, cette foule compacte, cette agression sonore, ces patrouilles armées jusqu’aux dents, étrangement, j’éprouve plus que jamais un sentiment d’insécurité alors que je devrais être émerveillé par la magie de Noël. Quelque chose s’est brisé.

Et vous ?

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C’est amusant, j’ai comme l’impression que les médias se répètent sans cesse : « Le mois de juillet le plus chaud », « Une année record », « Deux canicules en un mois », « La planète se réchauffe », « Les glaciers reculent », « La banquise a déjà fondu », « Djakarta sous les eaux », « Record de pollution », « Tornade sur le Luxembourg »…

Pendant ce temps Donald veut racheter le Groenland, Michel se moque de Greta et Emmanuel part en vacances.

Soudain certains s’inquiètent de l’empreinte énergétique d’Internet, se lamentent sur les incendies de forêt et s’étonnent de tous ces phénomènes météorologiques violents.

Oui la planète se réchauffe, ce n’est pas faute de l’avoir dit et écrit, et oui c’est de notre faute. Oui les phénomènes extrêmes sont en augmentation et oui nous allons régulièrement battre de nouveaux records de température et manquer d’eau.

Alors dépêchons-nous de visiter le Pole Nord avant qu’il ne fonde, d’installer la climatisation dans nos maisons, de creuser une piscine dans le jardin et de rouler en voiture électrique.

Nous avons encore une chance de calmer l’embolie climatique, mais nous devons nous dépêcher. Si nous ratons le coche, ce ne sera pas un degré de plus, mais deux, trois, quatre peut-être que notre atmosphère gagnera en moyenne d’ici la fin du siècle.

Vous avez une idée des dégâts que cela occasionnera ? Regardez déjà ce qui se passe avec un degré de plus actuellement. Ce sera bien pire.

En attendant que nos hommes politiques cessent de penser à leur réélection, au PIB, aux entreprises du CAC 40 et qu’ils prennent enfin de réelles mesures contre le réchauffement climatique, moi que puis-je faire ?

Même si c’est une goutte dans l’eau, je vais : ne pas installer de climatisation dans la maison, ne pas changer de voiture tant qu’elle roule, ne pas prendre l’avion, baisser le thermostat du chauffage à 17 C, prendre moins de douches quitte à ne pas sentir la rose, acheter local et bio tant qu’à faire, me déplacer le plus souvent possible à vélo, sinon en transports en commun ou à pied, cesser de perdre du temps sur Internet à regarder des vidéos de chatons, ne pas remplacer mon smartphone tant qu’il fonctionne, manger moins de viande, acheter moins d’objets non indispensables, voter écologiste à chaque élection et continuer de poster ce genre de billets pour vous demander : Et vous ? Qu’allez-vous faire ?

De bonnes raisons de mourir

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Le même jour, je me rendais chez mon libraire, L’Ill aux Trésor, pour commander deux livres aux titres évocateurs : « Derniers mètres jusqu’au cimetière » et « De bonnes raisons de mourir », tout un programme. Le premier était pour mon épouse, le second pour moi. Mais rassurez-vous, nous allons bien.

C’est en lisant le blog de Gruznamur que j’ai eu envie de me plonger dans le livre de Morgan Audic. Un polar se passant dans les environs de la centrale de Tchernobyl avait tout pour me séduire. Car oui, je l’avoue, l’accident nucléaire de 1986 m’a toujours fasciné. Tchernobyl et Pripyat ont inspiré bien des artistes, Steve Rothery avec l’album The Ghosts Of Pripyat, Philippe Luttun et son The Taste Of Wormwood ou la bande dessinée de Emmanuel Lepage, Un Printemps A Tchernobyl.

Un meurtre sordide se produit dans la ville fantôme de Pripyat. Deux enquêteurs sont sur l’affaire, un privé à qui son médecin lui laisse peu de temps à vivre, un milicien en poste à Tchernobyl qui espère retrouver un poste à Kiev, loin des radiations.

Norgan Audic nous livre un polar écologique haletant sur fond de guerre du Donbass dans les paysages irradiés de Tchernobyl. Nous rentrons dans la zone d’exclusion de la centrale nucléaire, ses villages en ruine, ses dangers, ses mystères, nous découvrons l’Ukraine de l’après chute du mur de Berlin et un tueur assouvissant une terrible vengeance.

Pour tout vous avouer, plus que l’intrigue, ce sont les décors qui m’ont passionné dans ce livre, cette description de l’Ukraine contemporaine, cette guerre du Donbass dont les médias parlent assez peu et cette catastrophe nucléaire qui aura tué directement et indirectement des milliers de personnes et qui continue aujourd’hui de décimer la population. Visiter les ruines de Pripyat en compagnie des enquêteurs, rentrer dans des immeubles évacués en urgence par la population, découvrir le récit, même imaginaire, de ceux qui ont survécu, rencontrer des personnes revenues vivre dans la région irradiée, découvrir toute l’horreur de ce drame, voila la force de ce roman.

Mais n’oublions pas l’intrigue, car elle est consistante. Des meurtres se produisent à Pripyat, des corps mis en scène avec minutie, des victimes toutes reliées entre elles par cette nuit du 26 avril 1986 où le coeur du réacteur n°4 à fusionné. Les personnages de Morgan possèdent beaucoup de force, Melnyk, l’ancien milicien travaillant dans la zone, Rybalko l’enquêteur, né à Pripyat, à qui il ne reste que quelques mois à vivre, Ninel, l’ornithologue écologiste, Sokolov, l’ancien ministre corrompu, prêt à tout mettre en oeuvre pour éliminer le tueur.

Ne manquez pas ce livre, il est passionnant et palpitant.

L’influenceur

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Je possède un avis sur tout, film, bande dessinée, livre, jeu vidéo, album, exposition, concert, politique, matériel photo, matériel audio, technologie, science. Donnez-moi un mixeur, je vous le chroniqurai. J’ai interviewé les plus grands, j’ai tutoyé les plus célèbres, je suis prêt pour une heure de tête à tête avec Trump. Sur YouTube, Facebook, Twitter, dans mon blog, mon webzine, sur Flickr, je partage mes gribouillages, communique ma passion, donne mon avis, critique, raconte…

Je suis un influenceur, c’est ainsi que l’on nous appelle. Mes écrits, mes vidéos modifient le comportement d’achat de mes followers. Ils veulent être moi, s’habiller comme moi, boire la même boisson que moi, conduire la même voiture que moi.

Un photographe m’immortalise dégustant une bière tout en écoutant le dernier vinyle de pop. Gros plan sur la cannette mousseuse et sur le nom du groupe, mon visage en second plan, celui que tout le monde le connaît, avec ce sourire béat. Shooting dans un jacuzzi remplit de champagne et de jeunes filles dénudées, sur le pont d’une croisière musicale, interviewant la rock star du moment.

Les marques s’arrachent mes espaces publicitaires. Les grands fabricants audio se battent pour que j’écoute la musique sur leur matériel hifi. Je suis le VIP des soirées de rock, les tourneurs déroulent le tapis rouge, me couvrent de cadeaux. Les plus belles chanteuses rêvent de partager, ne serait-ce qu’une nuit, mon lit à baldaquin. JC, mon JC, Oui , Oui, Ouiiiiiiii !

Nut ! Nut ! Nut ! Le réveil sonne, il est six heures, je dois me lever pour aller bosser. Aujourd’hui il faut changer les pneus de la flotte de Clio, commander du PQ, préparer la grande salle pour une réunion et briefer la femme de ménage sur l’utilisation de la serpillière. A 17h, s’il me reste un peu d’énergie, j’écouterai les fichiers mp3 reçus et transcrirai l’interview téléphonique d’un obscur groupe de prog en buvant un verre d’eau du robinet. Je regarderai une vielle série télé puis me battrait pour un peu de couette avec ma femme dans ma vieille maison qui tremble au passage des bus.

Je suis un influenceur, j’ai une chaîne YouTube que personne ne consulte, une page Facebook désertée, un blog confidentiel, un webzine avec moins de cinq cent pages vues par jour et un Flickr rempli de photos moches. Je suis un influenceur qui n’influence personne, n’intéresse aucun annonceur, ne vend aucun alcool, vêtement et cela me va très bien. Pour le jacuzzi, j’ai une baignoire. Et pour les bulles, devinez…